Retour sur une polémique autour des politiques anti-migrantEs du gouvernement britannique.
Le 7 mars, Gary Lineker, star du foot anglais dans les années 1980, écrivait dans un tweet : « Il n’y a pas d’afflux. Nous accueillons nettement moins de réfugiés que d’autres grands pays européens. Il s’agit simplement d’une politique infiniment cruelle dirigée contre des personnes particulièrement vulnérables, avec un langage qui n’est pas sans rappeler celui utilisé par l’Allemagne dans les années 30 [...] ». Jugeant ses « règles d’impartialité » enfreintes, la BBC décidait la « mise en retrait » de l’ancien sportif devenu animateur phare de « Match of the Day » (« le Match du jour »), son programme de foot du samedi soir.
Une politique violemment anti-migrantEs
Face au tollé soulevé par cette mesure et aux refus de participation aux émissions d’autres animateurs sportifs en solidarité avec Lineker, la direction de la BBC s’est vite ravisée, sans toutefois s’être épargné une terrible humiliation. Lineker pointait le fanatisme de la rhétorique et des mesures anti-réfugiéEs prises par l’actuelle ministre de l’Intérieur du gouvernement Sunak, Suella Braverman. Pour s’attaquer au droit d’asile, justifier sa remise en cause de la Convention européenne des droits de l’homme et « repousser les limites du droit international », Braverman n’a pas hésité à affirmer que « 100 millions » de demandeurEs d’asile pourraient converger vers le Royaume-Uni si ses mesures n’étaient pas adoptées.
Lineker n’est pas le premier à s’inquiéter de cette euphorie raciste : début janvier, Joan Salter, 83 ans, rescapée du judéocide, et électrice de la circonscription de Braverman, avait déjà publiquement interpellé la ministre pour lui dire que son langage lui rappelait celui utilisé par les Nazis pour justifier l’assassinat de sa famille. Braverman avait jugé ne pas avoir à s’en excuser.
Les projets de Braverman s’inscrivent dans la continuité de dix années de déchaînement législatif sur les questions migratoires : « Hostile environment » à partir de 2012 sous Theresa May alors ministre de l’Intérieur, lois de 2014, 2016, 2021, et « Partenariat sur la migration et le développement économique avec le Rwanda » de 2022, prévu comme terre d’expulsion définitive des migrantEs tentant de traverser la Manche au péril de leur vie. Et incidemment, c’est à la lumière de cette politique qu’il faut lire l’accord de coopération signé entre Darmanin et Braverman, et les embrassades de Macron et Sunak sur le perron de l’Élysée en mars 2023.
« Indépendance » de la BBC ?
Cette petite histoire est aussi l’occasion de réviser le risible conte de fée de « l’indépendance » et de « l’impartialité » de la BBC, dirigée depuis 2012 par un ancien élu conservateur et président d’une association tory, Tim Davie, et présidée par un multi-millionnaire, Richard Sharp (fortune estimée à 100 millions de livres sterling), ancien patron de Sunak chez Goldman Sachs, conseiller du même pendant la pandémie, et nommé par Johnson dont il fut un collaborateur à la mairie de Londres. « Indépendance », donc, dans le respect de la tradition : que l’on pense au zèle avec lequel le premier directeur général de la BBC, John Reith, contribua à briser la grève générale de mai 1926, mais aussi à son admiration non dissimulée pour Hitler et les nazis, on comprend qu’à la BBC, « les années 30 » est un sujet qu’il vaut mieux éviter.
Enfin, Lineker aura réussi à dire en un tweet ce que les dirigeants du Labour ne diront jamais en cent. Il est vrai que pour Starmer, Reeves ou Cooper, il est urgent d’expliquer que le problème du gouvernement, c’est qu’il n’expulse pas assez, pas assez vite. Temps sombres.