Publié le Mercredi 14 décembre 2022 à 11h58.

Grande-Bretagne : le spectre de la grève générale face aux restrictions du droit de grève

Au Royaume-Uni, où les grèves continuent de se développer, essentiellement pour les salaires, beaucoup ne craignent plus désormais, de faire le lien entre la situation en cours et les grands précédents historiques que furent l’hiver 1979 ou la grève générale de mai 1926.

Ces analogies sont possibles et nécessaires, comme source d’inspiration, comme héritages vivants, dans un « rendez-vous tacite entre les générations passées et la nôtre » (selon la formule de Walter Benjamin). Reste à savoir ce qui contribue aujourd’hui à faire obstacle à la grève générale comme saut qualitatif et cristallisation politique qui ne peut se déduire de la seule « coordination » ou « généralisation » des grèves.

Trois facteurs d’explication

On peut suggérer trois facteurs, au moins. Le premier a à voir avec le conformisme loyaliste historique du syndicalisme britannique. Sans y revenir, on peut au moins se dire que cette dominante qui le caractérise dans son histoire ne saurait être réduite à un pur fatalisme. Les évènements récents sont bien la preuve que certaines prévisions peuvent être déjouées.

Le second tient au Parti travailliste, lui-même né de ce monde syndical. Il faut se contenter d’observer que dans la conjoncture actuelle, la direction du Labour n’a strictement aucune intention d’offrir une quelconque articulation politique aux luttes en cours, quand bien même certaines des organisations syndicales en lutte contribueraient aux finances du parti.

Troisième facteur : depuis maintenant quarante ans, jusqu’à ce jour, et bien plus qu’ailleurs, le pouvoir britannique a mis aux mains du patronat un arsenal législatif particulièrement puissant contre les droits démocratiques les plus élémentaires du monde du travail. Il n’existe, en général, pas de droit ­constitutionnel à la grève au Royaume-Uni.

Droit de grève anémié

Le monde du travail ne dispose que de protections contre les poursuites en justice par les employeurs. Ces protections ne valent qu’à certaines conditions : le différend doit être strictement limité à l’employeur concerné. La grève ne saurait alors être « politique », ou concerner un autre employeur dans le cadre d’une action de solidarité.

Ensuite, la grève est conditionnée à une procédure de vote postal pour lequel est requise la participation d’au moins 50 % des membres de l’organisation à l’initiative. Pour certains « services publics importants », le vote majoritaire n’est valable qu’à condition de recueillir au moins 40 % de l’effectif total de l’organisation syndicale concernée. Ces votes ne sont valables que pour une durée de six mois. L’employeur doit encore être informé du vote une semaine avant son lancement, et de la grève, dans les deux semaines qui la précèdent, avec la liste des catégories de salariéEs et des lieux de travail concernés.

Pour finir, depuis l’été dernier, une nouvelle loi met fin aux restrictions sur l’embauche de demandeurEs d’emploi pour remplacer les grévistes. Rishi Sunak, quant à lui, a déjà annoncé un durcissement des restrictions anti-grève et contre les revendications « déraisonnables » des « patrons syndicaux » : à l’évidence, par centaines de milliers, les travailleuses et travailleurs peuvent bien loyalement voter leurs grèves tant qu’ils et elles veulent, ces formalismes électoraux ne leur garantiront jamais la moindre légitimité « démocratique » au bout du compte.

Le non-respect de ces modalités ouvre à des poursuites en justice que le patronat ne se prive surtout pas d’entreprendre. Une grève générale reste donc toujours possible. Mais comme on le devine, elle implique la radicalité qui lui permettrait de se confronter d’emblée — et à l’heure actuelle, sans aucun relai politique — à un redoutable dispositif d’enserrement législatif, politique, et bien entendu médiatique, et de représailles immédiates. Ceci est plus ou moins vrai partout. Au Royaume-Uni, c’est beaucoup plus que moins.