Publié le Mercredi 18 septembre 2019 à 15h28.

Grèce : 3 semaines après les expulsions de familles à Exarcheia

Plus de trois semaines après les expulsions de familles de réfugié-e-s et de jeunes occupant des immeubles vides dans le quartier d’Exarcheia au centre d’Athènes, aucune nouvelle attaque ne s’est produite pour le moment, mais le dogme de la droite revenue au pouvoir, ‘‘Loi et ordre’’, n’est pas du tout remis en question.

Au fait qu’aucune nouvelle intervention policière n’ait pour l’instant été commise contre les autres occupations du quartier Exarcheia, objets de délire sécuritaire depuis des années de la droite et de l’extrême-droite, on peut trouver trois explications :

La première est la solidarité qui s’est exprimée après les premières expulsions. Des rassemblements ou gestes de solidarité ont eu lieu dans plusieurs pays. En Grèce même, différentes mobilisations se sont organisées, qui passent par le renforcement de la protection des lieux occupés (comme au 26 Notara, certainement la plus sérieusement organisée des occupations) ou par des manifs. La plus importante s’est déroulée samedi 14, avec autour de 5000 manifestant-e-s fort remonté-e-s contre les attaques de la droite et sa politique liberticide. Cette manif, dont plus de la moitié était formée de cortèges anarchistes, regroupait aussi des collectifs : AG des habitant-e-s d’Exarcheia, le Steki Metanaston (Maison des Réfugiés), les étudiant-e-s de l’École Polytechnique, ainsi qu’Antarsya, même si son cortège était moins fourni que ce qu’on pouvait espérer. Une belle manif, impressionnante de détermination et de sérieux, qui a fait le tour du centre d’Athènes…

Néanmoins, il est évident qu’en cette phase, la solidarité est bien trop faible par rapport aux enjeux ! Syriza, qui dénonce la répression, était absent. LAE (Unité Populaire), qui appelait à la manif, était invisible. Une dirigeante du KKE (PC grec) réussit l’exploit dans une tribune au Quotidien des Rédacteursde dénoncer le dogme “Loi et ordre” sans dire un mot de la répression contre les réfugiés ! Or, comme le disaient dans un texte commun des organisations participant à la manif du 14 (Synantisi, Steki, Rossinante, etc.), « La résistance à l’opération “Loi et ordre” ne concerne pas seulement Exarcheia mais toute la société. Parce qu’à travers Exarcheia, ce qui est entrepris, c’est d’accentuer la situation de privation de nos droits, l’imposition par le pouvoir d’une situation de peur généralisée, et finalement la création d’un tissu bourgeois correspondant aux plans du capital, sans que les habitant-e-s aient leur mot à dire. »Antarsya soulignait fin août ce même objectif de l’opération de Mitsotakis, qui « sert les intérêts des grosses boites de construction et du tourisme qui ont submergé le quartier, en achetant tout ce qui est possible. Leur finalité, c’est de transformer Exarcheia, lieu de défiance sociale, en une zone bien chère d’airbnb et d’hôtels de luxe. »

 

Les contradictions au sein de la droite

C’est la seconde explication. Certes opportunistes et/ou superficielles, elles peuvent expliquer une certaine gêne quand elles rejoignent le sentiment de pas mal d’habitant-e-s d’Exarcheia en affirmant que le problème, ce ne sont pas les réfugiés, c’est le trafic de drogue et de cigarettes. Du coup, le pouvoir met en scène depuis plusieurs jours des opérations de police contre de petits trafiquants, ce qui évidemment ne règle absolument pas le lourd et grave problème de la drogue dans Exarcheia.

Une raison qui joue certainement un plus grand rôle dans la phase actuelle est le fait qu’après avoir joué les gros bras pour son électorat, le pouvoir se retrouve devant le problème de relogement des réfugié-e-s expulsés des immeubles occupés, dont la grande majorité a des titres de séjour. La question, que Mitsotakis et ses semblables affirmaient régler en quelques jours, est d’autant plus insoluble que ces dernières semaines, les arrivées de réfugiés dans les îles se sont multipliées : en août sont arrivés 8100 réfugiés (3200 en août 2018), dont le nombre dans les quelques hotspots dépasse aujourd’hui 25000. Les capacités d’accueil dans ces centres dits de recensement étant depuis longtemps et de très loin dépassées, le gouvernement tente d’ouvrir en hâte des centres de séjour durable sur le continent : en fait, celui qu’il a installé près de Kavala, en Macédoine, est fait de préfabriqués invivables quand il fait chaud … et quand il fera froid. Et sa volonté d’ouvrir un centre à Karavomylo, près de Lamia, a vu une partie des habitants protester contre l’installation de réfugié-e-s…

 

Une menace toujours aussi forte !

En dépit de ces facteurs, il ne faut pas s’y tromper : les menaces d’intervention contre les immeubles occupés sont toujours aussi fortes ! Il n’y a rien d’autre à attendre d’un gouvernement dont un membre est devenu « avec enthousiasme » commissaire européen « pour la protection de notre mode de vie européen », c’est à dire très clairement contre le danger que représenteraient les immigré-e-s… Et s’il y avait des doutes (!), une série de mesures récentes traduisent le racisme de ce gouvernement :

- des enfants de réfugiés sont scandaleusement interdits d’école : en privant les réfugiés de la possibilité d’accès gratuits aux soins à l’hôpital, le gouvernement empêche que soient effectuées gratuitement les vaccinations, or les vaccins sont une condition de la scolarisation,

- les droits de recours des réfugiés pour faire valoir leur statut ont été drastiquement limités,

- plus de 1000 réfugiés n’ayant pas été reconnus comme tels sont menacés de renvoi de Grèce.

Et dans Exarcheia, le pouvoir entretient la menace : la présence des MATS (= CRS) est constante, et leurs patrouilles sont ouvertement provocatrices, comme dans le fait de passer plusieurs fois par jour juste devant l’occupation du 26 Notara… Un responsable syndical des flics, dont il faut rappeler leurs votes massifs en faveur de Chryssi Avgi (Aube Dorée) a d’ailleurs dû être sanctionné pour s’être trop officiellement réjoui que “l’aspirateur” de la police chasse “les poussières” que sont les réfugiés et “les ordures” que sont les militant-e-s de la gauche extra-parlementaire… Et il est assez clair que, même si une partie des habitant-e-s du quartier voit avec colère cette occupation policière, qui rappelle aux plus anciens la situation créée dans les années 80 quand un ministre du Pasok avait procédé de même pour mener la chasse au trafic de drogue, l’attitude de la majorité reste à ce jour assez passive (mais par ailleurs personne ne se fait d’illusions sur les complicités en haut lieu entre le pouvoir et les gros trafiquants…).

Alors, oui, la solidarité est plus que jamais à l’ordre du jour ! Une solidarité à renforcer face aux attaques contre les droits des réfugiés, contre les droits des travailleuses et travailleurs (on y reviendra) et de la jeunesse, à Exarcheia comme partout en Grèce ! L’urgence en Grèce est d’arriver à étendre les mobilisations solidaires et unitaires à l’ensemble du camp ouvrier, mais évidemment, l’écho de la solidarité internationale joue tout son rôle, et ce serait pour la France « en même temps » une bien forte réponse à Macron, au moment où il décide d’utiliser ouvertement le poison raciste comme axe majeur de sa politique !

Les prochaines échéances de la mobilisation sont, ce 17 septembre, concert en hommage à Pavlos Fyssas, et le 18 septembre une manifestation antiraciste sur les lieux de son assassinat par les tueurs de Chryssi Avgi, il y a 6 ans. “O Pavlos zei !” : Pavlos, tu restes vivant, plus que jamais !

Athènes, le 17 septembre 2019, A. Sartzekis