Entretien. Assistante sociale à la retraite, Ann Montague est syndiquée à SEIU depuis 30 ans (syndicat des employés des services) et membre de Socialist Action, organisation politique en sympathie avec la Quatrième Internationale. Elle revient avec nous sur la grève nationale des fast-food qui a récemment balayé le pays, pour une augmentation du salaire minimum horaire à 15 $ de l’heure et le droit de constituer un syndicat sans être réprimé.Comment ton syndicat s’est-il retrouvé à organiser cette grève des fast-food ?Quand la direction du syndicat annonça aux syndiquéEs qu’elle avait décidé d’aider à organiser des grèves de fast-food à New York en 2012, j’ai été surprise comme tout le monde. La présidente Mary Kay Henry a mis en avant dans le cadre de la commission exécutive la proposition controversée d’investir du personnel et des ressources financières dans le fait de faire militer les travailleurEs des fast-food, pas pour les syndiquer mais pour augmenter les salaires de toute la profession.Une partie de la bureaucratie était contre et même si sa proposition l’a emporté, il était sous-entendu que si c’était un échec, considérant tout cet argent dépensé pour des gens qui n’étaient même pas membres de SEIU, elle ne serait pas réélue. La position de celle-ci était de dire que si on augmentait les salaires dans un secteur, cela aurait un impact sur tous les salaires.Comment le mouvement a-t-il commencé ?En 2012, un groupe appelé « New York Communities for Change » [Ndt :« Les communautés new-yorkaises pour le changement »] faisait un travail sur la question des logements à prix abordable. Ils se sont vite rendu compte que la majorité des employés de fast-food à qui ils s’adressaient n’avaient même pas de quoi se loger. Ils dormaient dans des abris pour SDF et sur le sols des appartements de leurs amiEs.En conséquence, SEIU a commencé à organiser des réunions sur la question des bas salaires des employés de fast-food. Les travailleurEs ont vite décidé qu’ils voulaient 15 $ de l’heure et le droit d’avoir un syndicat et ils étaient prêts à se mettre en grève. La première grève a eu lieu à New York quand 200 travailleurEs ont débrayé, et depuis leur nombre n’a cessé de croître. Cette année, au mois de mai, il y avait des grèves dans 150 villes et 33 États.Ce 4 septembre 2014 a eu lieu la septième journée de grève : elle était plus étendue, avec davantage de villes dans le sud et le sud-est. Il y a eu des actions de désobéissance civile, et dans huit villes les garde-malades à domicile se sont joints aux employéEs de fast-food, exigeant également 15 $ de l’heure.Quelles sont les principales revendications ?Pour l’instant, il y a deux revendications principales : 15 $ de l’heure et le droit d’avoir un syndicat sans être menacé. Aux États-Unis, il y a un salaire minimum fédéral [Ndt : national] qui s’applique aux 50 États. Certains États en ont un plus élevé. Actuellement, le salaire minimum fédéral est de 7,25 $.Dans le discours de Martin Luther King lors de la marche sur Washington de 1963, il exigea alors un salaire minimum de 2 $ de l’heure. En ajustant avec l’inflation aujourd’hui, ces 2 $ qu’il exigeait représenteraient 15,27 $. En général, 15 $ de l’heure est considéré comme un « salaire permettant de vivre » alors que tout ce qui est en-dessous est considéré comme un « salaire de misère »...Quelle est la réaction du gouvernement ?La principale réponse du gouvernement a été le silence. On entre dans une période électorale à partir de novembre. Les politiciens savent que la population soutient l’augmentation du salaire minimum, donc ils ne peuvent pas réellement s’y opposer. Le président Obama a fini par mettre en avant la proposition d’un salaire fédéral de 10,10 $ de l’heure, afin de couper l’herbe sous le pied aux manifs et grèves. L’argument qu’ils ne peuvent éluder est qu’un salaire inférieur à 15 $ est un « salaire de misère ». Bien que les Démocrates soient des experts en termes de récupération de mouvement, jusqu’à maintenant ils n’ont pas réussi à arrêter le mouvement « pour 15 $ et un syndicat ».Et la répression ?La loi fédérale permet « l’activité concertée » des travailleurEs. Cela signifie que les travailleurEs ont le droit de se joindre les uns aux autres pour demander de meilleures conditions de travail. Les grèves des fast-food ne sont pas des grèves traditionnelles, où les travailleurs débrayent et mettent en place un piquet de grève pour empêcher d’autres travailleurs ou des clients d’entrer dans l’entreprise. Ces travailleurEs quittent le lieu de travail et sont rejoints par la population et leurs soutiens dans les manifestations et les meetings. En général, ce ne sont pas tous les travailleurEs du même restaurant mais des travailleurEs de différents restaurants qui se rejoignent.On dirait que les patrons comprennent que les sanctions vont entraîner plus de protestations et que si ça se trouve, davantage de travailleurEs participeront à la prochaine grève. Avec l’extension du conflit à de plus petites villes, on va peut-être avoir d’autres difficultés. Lors des impressionnantes actions de désobéissance civile du 4 septembre, 500 manifestantEs ont été arrêtés mais tous ont été relâchés.Dans certaines villes, on a vu des syndiqués rejoindre les manifs en soutien à Ferguson. Quels sont les liens entre les deux mouvements ?Ferguson est au Missouri, un État avec une forte tradition syndicale. À Ferguson, il y avait des groupes de gens issus de « Montre moi les 15 $ » actifs dans les manifs pour Michael Brown. Shermale Humphries qui en fait partie a dit qu’elle avait travaillé au Mc Donald’s de l’autre côté de la rue où Michael Brown a été tué. « Je devais y participer [à ces manifs] » a t-elle dit. « Je suis afro-américaine et cela aurait pu être n’importe qui que je connaissais. Je ne peux plus laisser cela arriver ». Elle a dit que son expérience dans la grève des fast-food l’a aidée à organiser les manifestations à Ferguson. Et la mère de Michael Brown était membre de l’UFCW [Ndt : syndicat des travailleurs du commerce]. La dirigeante de son syndicat a immédiatement fait un communiqué de presse condamnant les actions de la police et soutenant la demande de la mère de Michael d’une enquête et que justice soit faite.Que signifie ce mouvement en termes de renaissance du mouvement ouvrier ? Pour qu’il y ait une renaissance du mouvement ouvrier, il faut qu’il y ait une rupture avec le Parti démocrate. Comme tu le sais probablement nous n’avons pas de parti de la classe ouvrière dans ce pays. Nous avons deux partis capitalistes et tant que les bureaucrates syndicaux seront à l’entière disposition du Parti démocrate, le mot « renaissance » est trop fort. Cependant, ce mois-ci un gréviste a été cité disant : « Nous sommes un mouvement maintenant ! ». C’est important.Propos recueillis et traduits par Stan Miller