Une grève enseignante d’une intensité jamais vue depuis 1993 a gagné la Pologne depuis le lundi 8 avril, et continue à l’heure où nous écrivons.
Environ 85 % des écoles participent au mouvement, et plus de 500 000 enseignantEs du primaire et du secondaire sont grévistes. Les enseignantEs réclament une augmentation de salaire de 30 %, hausse qui, même si elles et ils l’obtenaient, ne les mettraient même pas au niveau du salaire moyen polonais.
Des salaires dérisoires
La Pologne fait partie des pays de l’OCDE dans lesquels les salaires des enseignantEs sont les plus faibles. À peine plus que le salaire minimum de 375 euros pour unE débutantE, et entre 400 euros et 700 euros pour les autres, alors que de nombreuses professions comme les employéEs de bureau ou les caissierEs de supermarché touchent plus, autour de 800 euros.
La colère a pris de l’ampleur lorsque le gouvernement a présenté un vaste paquet de cadeaux en mars, devant coûter plus de 9 milliards d’euros. Le gouvernement soigne son électorat avec une prime aux retraitéEs, des retraites pour les mères au foyer et une prime pour chaque enfant, dans la droite ligne du programme nataliste du gouvernement nationaliste polonais. Il avait instauré le programme « 500+ », promesse de campagne d’une prime pour chaque enfant, qui s’était transformée en prime de 500 zlotys (125 euros) à partir du deuxième enfant. Il y avait même dans le paquet cadeau une prime de 115 euros par vache et par cochon. Ce qui a fait dire à une enseignante : « il y a de l’argent pour les animaux, et pas pour nous ! » Mais rien sur la condition des enseignantEs qui réclament des augmentations de salaires et de meilleures conditions de travail depuis des années. Une enseignante témoigne dans le journal le Courrier d’Europe centrale : « La vérité, c’est que pour partir en vacances, je dois prendre un job d’assistante en colonie de vacances pour pouvoir y emmener ma fille gratuitement. Je travaille donc bénévolement pour que ma fille parte en vacances. Mais ce ne sont pas des vacances pour moi ! »
Outre le salaire de misère, les enseignantEs polonais (qui sont à 21 heures par semaine) ont de nombreuses contraintes qui nous sont inconnues en France. Ils font par exemple tout le travail administratif sur leur temps de congé. Et lorsqu’un élève est absent pour une longue durée, chaque professeur doit se rendre chez lui pour lui donner des cours particuliers une fois par semaine sans réelle compensation salariale…
Soutien de la population
Le gouvernement ultraconservateur du parti Droit et Justice (PiS), a proposé 15 % de hausse, ce que les grévistes ont refusé. Le gouvernement fait appel à des briseurs de grève en soutane, puisque des professeurs de religion payés par l’État, mais à qui l’Église interdit de faire grève, remplacent les grévistes pour surveiller les examens. Et le ministère a interdit aux mairies de compenser les retenues salariales.
La grève est bien vue par la population, malgré le matraquage du gouvernement, car les parents connaissent l’état pitoyable de l’éducation. Plus de deux millions de złotys (près de 500 000 euros) ont été collectés en peu de temps par un comité de soutien aux enseignantEs polonais en grève. Cette somme va continuer d’être abondée puis sera versée sur un « fonds de grève » constitué par le Syndicat des enseignants (ZNP) pour les personnels non syndiqués. Le comité de soutien aux enseignantEs en grève organise également de nombreuses manifestations de solidarité sous le slogan #WspieramyNauczycieli (« Nous soutenons les enseignants ») dans plusieurs villes du pays.
Régine Vinon