Élections, ouragan, choléra... Haïti ne sort pas de la calamité dans laquelle l’île est plongée depuis bientôt six années. Le premier pays où les esclaves noirs s’affranchirent payent toujours le lourd tribu de ce glorieux passé...
De l’ouragan Matthew début octobre à la reconnaissance par l’ONU de sa responsabilité dans l’épidémie de choléra, en passant par des élections troublées, quelques nouvelles des tristes tropiques.
L’ONU, ce pompier pyromane
L’ouragan Matthew venait tout juste de balayer l’île en octobre dernier, l’ONU reconnaissait enfin son rôle dans l’épidémie de choléra qui a touché Haïti depuis 2010. Après le tremblement de terre de janvier 2010 qui fit plus de 300 000 mortEs et autant de blesséEs, les survivantEs furent livrés à eux-mêmes dans des villes totalement rasées, avec des pouvoirs publics incapables de faire face à la situation. L’ONU constituait la Minustah dans le but « d’aider » à la reconstruction. Cette même année, une épidémie de choléra, une première depuis plus d’un siècle et demi, contaminait près d’un million de personnes.
Très rapidement, des voix se sont élevées pour dénoncer les troupes de la Minustah, dont une base de troupes népalaises, au centre de l’île, qui serait le lieu originel de la maladie. Ces accusations furent alors taxées de fantaisistes par la presse occidentale, avec le plus grand mépris... Mais c’est bien cette triste réalité que l’ONU a dû reconnaître publiquement il y a quelques semaines, promettant un vaporeux plan d’indemnisation de près de 400 millions de dollars. Peu pour les 10 000 Haïtiens qui y ont perdu la vie et pour les 800 000 victimes du choléra. Philip Alston, rapporteur indépendant auprès de l’ONU sur les questions d’extrême pauvreté et de droits de l’homme, évoquait devant l’assemblée générale « un désastre moralement condamnable, indéfendable du point de vue légal et contraire aux intérêts [de l’ONU] ».
Et alors que le montant des indemnités est fixé, la question de qui va payer reste toujours sans réponse, illustrant le cynisme de « l’aide internationale ». Et pendant que Ban Ki-moon adresse ses excuses au peuple haïtien, ce dernier continue de mourir du choléra qui a repris de l’intensité suite aux dégâts de l’ouragan Matthew..
L’illusion démocratique
Si la situation haïtienne n’était pas si chaotique, on pourrait presque rire du dernier épisode des élections haïtiennes. Les dernières élections furent annulées il y a un an, face à la contestation et aux observations nombreuses de fraudes, alors que les mobilisations sociales grandissaient autour des revendications pour une augmentation du salaire minimum. Liste des électeurs non mise à jour depuis le tremblement de terre de 2010 (soit 200 000 personnes, décédées mais toujours électrices), des bureaux saccagés, des urnes enlevées, un seul candidat au second tour (celui du pouvoir), des événements qui avaient eu raison des précédentes élections haïtiennes. Ces élections avortées étaient principalement financées par l’aide internationale, qui devant cet échec a décidé de fermer le robinet du financement.
Avec 27 candidats, dans un pays toujours dévasté où les conditions ne sont toujours pas réunies pour permettre le vote, l’abstention est la seule gagnante du dernier scrutin du 20 novembre, atteignant pas loin de 80 %. Ces derniers jours, des manifestations ont opposé les partisans des trois favoris, dont deux ont été éliminés dès le premier tour.
C’est finalement le candidat du pouvoir Jovelen Moïse qui revendique la victoire. Homme au passé mystérieux, accusé de corruption, c’est le candidat soutenu par l’ex-président Martelly, la bourgeoisie locale, dominicaine, et bien entendu occidentale. Riche agriculteur, Moïse a inscrit son programme dans la continuité de son prédécesseur, une politique ultra libérale qui encourage la construction de zones franches au service des multinationales américaines et européennes. Une création de zones franches également encouragées par Bill Clinton, l’ancien président américain ayant aussi la casquette de responsable de l’aide internationale et des entrepreneurs... Nul doute que ce nouvel homme de paille continuera à dévoyer les aides vers ces zones franches, laissant des pans entiers du pays dans la désolation, bien loin des promesses de reconstruction, des batailles pour les salaires et les droits des salariés et des femmes. Il faut dire que sous la présidence de Martelly, les violences avaient très fortement augmenté, avec les licenciements des salariéEs cherchant à s’organiser, le principe des zones franches étant zéro taxe, zéro syndicat...
La lutte, encore longue, doit trouver les voies pour un nécessaire débouché politique, qui restitue enfin l’île aux Haïtiens.
Thibault Blondin