Avec la tentative ratée de Wyclef Jean de se présenter aux élections, prévues le 28 novembre 2010, les présidentielles haïtiennes ont fait parler d’elles. Si la superstar a tourné les regards sur la légitimité de son entreprise, sa candidature est à l’image de la totalité du processus électoral et de son indécence. Dans le contexte terrible d’une reconstruction du pays qui s’apparente à une «thérapie de choc», Jean est le digne représentant d’un capitalisme néo-colonial, ami des grandes puissances et des anciens bourreaux à leur solde, qui tire profit du séisme pour faire d’Haïti une réserve de travail surexploité.
L’élection, comme la catastrophe récente, ne peuvent se comprendre sans référence à cette structure inégalitaire et au rôle de l’impérialisme américain dans l’occupation et le pillage des ressources haïtiennes, effectués de concert avec les Nations Unies et, notamment, le pouvoir français.
La catastrophe et l’occupation
Le séisme fut l’occasion pour les États-Unis de renforcer le contrôle militaire du pays. Ces derniers ont pris en charge la reconstruction, sous l’égide de Bill Clinton, et le réseau aérien est sous contrôle US depuis le 13 janvier 2010. Obsédés par les risques de pillage et la crainte des masses, les autorités étatsuniennes ont plutôt fait entrer des soldats et des armes que des médecins et des vivres. Pire encore, certains convois, comme ceux de Médecins Sans Frontières, ont été renvoyés en République Dominicaine au lieu d’arriver à bon port.
Par quatre fois les troupes américaines ont envahi le sol haïtien depuis 1915. Si les formes et les motivations ont varié, leur visée a toujours été de restaurer la «stabilité» et la «sécurité» sur l’île. Cette volonté de pacification nous rappelle sans cesse qu’Haïti fut le pays de la première abolition de l’esclavage et de la première lutte anticoloniale victorieuse, toutes deux menées par des esclaves et d’anciens esclaves entre 1791 et 1804. On comprend dès lors que les grandes puissances, autrefois la France et maintenant les Etats-Unis épaulés par la communauté internationale, fassent preuve de tant d’énergie répressive, économique et militaire, pour éteindre la révolte qui menace leurs intérêts.
De 1957 à 1986, les Etats-Unis soutinrent le régime des Duvalier, père et fils, d’abord comme alliés anticommunistes contre Cuba, puis comme économie ouverte, où leurs exportations détruiraient l’économie paysanne. L’impérialisme produit la structure inégalitaire à l’origine des conséquences meurtrières du séisme: une mince élite proche des Etats-Unis et des masses appauvries, main d’œuvre à la merci des sweatshops et vivant dans les bidonvilles. Chaque opération militaire américaine ou plus récemment de l’ONU sur l’île est venue en appui de mesures libérales, qui rendirent les gouvernements impuissants et le pays dépendant de la dette et des ONG.
Les élections dans tout ça
La mascarade électorale se produit dans le cadre d’une nouvelle «thérapie de choc», où il est surtout question de sécuriser de nouveaux investissements dans le tourisme ou le textile bon marché, que d’aider les populations. Elle prolonge le programme que l’impérialisme a imposé au pays sans discontinuer depuis la chute de la dictature de Duvalier fils : couper court à toute initiative populaire. En effet, le grand absent des élections est le parti Fanmi Lavalas, emmené par Jean-Bertrand Aristide, personnage controversé, mais qui fut à la fois le porte-parole des mouvements populaires des années 80, et le premier président élu démocratiquement. Renversé en 1991 par d’anciens loyalistes de la dictature, il fut réintroduit par Clinton lui-même pour pacifier l’île, faire entrer des marines, et introduire des mesures libérales. Mais Aristide, réélu en 2000, refusa de privatiser le secteur public, et augmenta le salaire minimum. Il demanda en outre à la France de rembourser la dette d’indépendance, ce qui lui valut une fin de non-recevoir par Dominique de Villepin, conseillé par Régis Debray, et la participation active des services français au deuxième coup d’État (2004) qui l’éloigna définitivement du pouvoir. L’île est depuis lors restée sous contrôle onusien, ce qui n’était sans doute pas suffisant pour l’impérialisme américain, qui a toujours plus besoin de lier les mains du pouvoir, déjà considérablement affaibli, de René Préval, ancien bras droit d’Aristide converti au néolibéralisme.
Ni Aristide, ni Fanmi Lavalas, n’ont le droit de participer aux élections. C’est là tout le scandale de ce scrutin : il entérine la démocratie militaire, néo-coloniale, qui écrase les peuples en chaque lieu où l’ordre impérialiste est remis en cause.
Félix Boggio