Publié le Vendredi 23 juin 2023 à 10h00.

Inégalités salariales en Suisse : l’étude patronale qui donne raison aux féministes

Le 13 juin, à la veille d’une mobilisation d’ampleur contre les inégalités salariales, l’Union patronale suisse (UPS) a publié un communiqué triomphal annonçant que 99,3 % des entreprises respectaient l’égalité salariale. Voilà pour le résultat et la propagande aux nuances soviétiques.

Problème : l’étude de l’Université de Saint-Gall, financée par l’UPS, ne dit pas cela, mais presque le contraire. Fâcheux.

En moyenne, sur la base des 463 entreprises étudiées, la différence de salaires entre hommes et femmes, lorsqu’on compare les salaires standardisés pour un plein temps (avec y compris 13e mois, primes, etc.) se situe entre 13,5 % et 20,7 % selon les régions. Ces résultats sont proches de ceux publiés par l’Office fédéral de la statistique-OFS (19,5 % en 2020 au niveau national dans le secteur privé), que le patronat ne cesse pourtant de vilipender. Surtout si l’on a en tête que, dans le cas de l’UPS, l’écart est mesuré au sein de chaque entreprise alors que, dans le cas de l’OFS, cette mesure est faite au sein de l’économie dans son ensemble, avec toutes les différences que cela implique. Conclusion : les données sur lesquelles les femmes se basent depuis des décennies pour dénoncer les discriminations salariales sont pertinentes. Merci patrons !

Des différences « inexpliquées » ?

En moyenne, toujours selon les auteurs de cette étude, la différence salariale « inexpliquée » serait de 3,3 %. Pas de 0 %, comme le laisse entendre le score soviétique affiché, mais de 3,3 %. Pour que l’on comprenne ce chiffre : si, chez un grand distributeur, les postes de cadre, mieux payés, sont nettement plus souvent occupés par des hommes que par des femmes, la différence salariale qui en découle est « expliquée »… et n’entre pas dans ces 3,3 %. Et si ces mêmes grands distributeurs sous-traitent le nettoyage à des entreprises spécialisées, employant principalement des femmes avec des salaires très bas, ces femmes n’entrent pas dans la comparaison et dans le 3,3 %…

3,3 % : c’est ce qui reste quand on a éliminé toutes les principales causes de discriminations salariales, comme les branches et les professions à bas salaires ou le plafond de verre. C’est donc énorme ! Pour mémoire, l’écart salarial « non expliqué » se monte selon l’OFS à 8,8 % dans le secteur privé, à l’échelle de l’ensemble de l’économie. Le score patronal est dès lors tout sauf un démenti. Merci patrons !

« Seuil de tolérance » ?

Le score soviétique de 99 % d’entreprises prétendument conformes à l’égalité salariale n’est atteint que grâce au « seuil de tolérance » de 5 % prévu par pour les analyses salariales. Mais ce seuil n’a pas de base statistique : les analyses intègrent déjà les intervalles de confiance tenant compte des incertitudes dans les données. Il n’a pas de fondement légal non plus : la Constitution, pas plus que la loi sur l’égalité ne disent qu’une inégalité salariale de 5 % est acceptable. C’est une pure concession faite au patronat. En 2022, le Bureau vaudois de l’égalité a publié une étude sur cette question. Basée sur les données de l’enquête suisse sur la structure des salaires (ESS), récoltées auprès de quelque 35 000 entreprises (à comparer aux 463 de l’UPS), cette étude montre qu’avec un seuil de tolérance de 5 %, 19 % des entreprises ont un résultat non conforme à l’égalité salariale, alors que cette proportion passe à 50 % avec un seuil de tolérance de zéro. L’étude commanditée par l’UPS confirme ces résultats : le seuil de tolérance ne sert qu’à dissimuler l’ampleur des discriminations salariales. Merci patrons !

En résumé, l’étude financée (bon investissement !) par l’Union patronale suisse (UPS) montre : 1) que les inégalités salariales sont bien de l’ampleur dénoncée par les féministes et les syndicats ; 2) que la méthode actuelle de contrôle des salaires, avec son seuil de tolérance de 5 % et quasiment aucune obligation, est totalement inefficace pour faire avancer la cause de l’égalité salariale.

 

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