Après la victoire de Fratelli d’Italia, la gauche syndicale et politique s’organise malgré la banalisation de l’extrême-droite en cours dans la société.
Avec 44 % des votes, la coalition des droites et de l’extrême droite a obtenu, grâce à une loi électorale antidémocratique, une large majorité parlementaire : 115 représentants sur 200 au Sénat, 237 députés sur 400 à la Chambre des députés. Ces deux assemblées se réuniront le 13 octobre pour élire leur président et former les groupes parlementaires. Le président de la République confiera ensuite à la dirigeante de Fratelli d’Italia, Giorgia Meloni, le soin de constituer le gouvernement. Cell-ci a déjà entamé ces jours-ci une négociation difficile avec les partis alliés, Forza Italia1 et la Ligue2, pour en établir la composition.
Des postfascistes en voie de banalisation alignés sur Draghi et les USA
Giorgia Meloni, qui devra gouverner dans une situation de grave crise économique et sociale, d’urgence énergétique et dans un cadre international toujours plus conflictuel, évolue en étroite collaboration avec Draghi3 et dans la continuité de ses choix économiques. En politique extérieure, elle est complètement alignée sur les USA et multiplie les déclarations philo-atlantistes pour rassurer Washington par rapport aux vieilles amitiés poutinistes de son allié Salvini.
Le climat politique est en train de changer rapidement car tous les journaux importants, y compris ceux qui ont soutenu le Parti Démocrate, cherchent à banaliser et à présenter comme normale l’arrivée au gouvernement de ceux qui sont appelés postfascistes, c’est-à-dire du parti qui a toujours été considéré comme extérieur à ce que l’on appelle « l’arc constitutionnel ». La grande bourgeoisie n’aura aucun problème à avoir de bons rapports avec ces droites et saura les utiliser à ses fins propres. De larges secteurs de la petite et moyenne bourgeoisie constituent déjà depuis longtemps les points d’appui forts des différents partis de droite.
Des attaques sur les classes populaires, les migrants et le droit à l’avortement
Le message envoyé est simple : « Ils ont gagné les élections, laissons-les travailler, nous les jugerons sur la base des résultats et du contenu des mesures prises ». Presque comme si l’on ne savait pas déjà ce qu’ils veulent faire sur le plan social, sur celui des droits, et même des institutions, à commencer par la modification de la Constitution. Presque comme s’il n’était pas clair que depuis toujours ils sont les ennemis jurés de la classe ouvrière, et qu’ils disposent d’un parti bien organisé et, qu’au-delà du ton modéré qu’ils emploient pour se rendre crédibles, ils sont bien décidés à changer la structure du pays.
De plus, il existe une constellation d’organisations ouvertement fascistes, qui se sentent complètement dédouanées, qui veulent leur revanche et qui sont tout à fait disposées à agir contre les luttes et les mouvements sociaux.
Fratelli d’Italia et ses alliés ont déjà commencé à attaquer les secteurs les plus faibles des classes populaires : ils veulent supprimer le « revenu de citoyenneté » qui a permis à quelques millions de personnes de survivre. Cette mesure coûte à peine 7 milliards par an, argent qu’ils veulent directement transférer aux entreprises sous prétexte qu’elles créeront des emplois.
La loi sur l’interruption volontaire de grossesse est soumise elle aussi à une pression de plus en plus forte, sous l’action des gouvernements des nombreuses régions gérées par les droites. Et il en est de même en ce qui concerne la situation des migrants.
Vers une grève générale le 2 décembre
Il faut cependant signaler que le 28 septembre il y a eu dans de nombreuses villes de grandes manifestations de femmes en défense de l’avortement et pour leur liberté de choix .
Samedi prochain, le principal syndicat italien, la CGIL4, organisera à Rome une grande manifestation, un an après l’attaque de son siège national par les nervis de Forza Nuova5, sans que les forces de police, pourtant présentes, n’aient levé le petit doigt pour les en empêcher. Ce sera l’occasion d’une forte mobilisation antifasciste, même si l’approche de la CGIL par rapport au nouveau gouvernement paraît très attentiste et très discutable (ce n’est pas par hasard qu’elle est critiquée par son courant gauche). La ligne de son secrétaire peut se résumer ainsi : « Nous présenterons nos propositions au gouvernement et nous le jugerons sur ce qu’il acceptera de faire ».
Le Parti Démocrate de Letta, après sa défaite électorale, est complètement en crise. La presse la présente comme la crise de la gauche tout court. Le parti s’achemine vers un nouveau congrès dans une confusion totale.
Quelques intellectuels ont lancé un appel : ils espèrent qu’à partir de la crise du Parti Démocrate et du tournant à gauche limité du Mouvement 5 Étoiles6, pourra s’ouvrir un vaste chantier radical, fondé sur les valeurs de la Constitution, c’est-à-dire un processus de construction d’une formation progressiste et « travailliste ».
Tout ceci bouscule les forces de la vraie gauche radicale, celle qui veut remet enquestion le capitalisme avec ses injustices et ses guerres. Ces forces sont appelées à redéfinir un nouveau parcours unitaire social et politique d’alternative.
En attendant, la manifestation de la convergence des mouvements sociaux et des luttes ouvrières le 22 octobre à Bologne se prépare du mieux possible. Les syndicats de base veulent ensuite lancer une mobilisation qui culminera dans une journée de grève générale le 2 décembre.
Traduction de Bernard Chamayou
- 1. Parti dirigé par Silvio Berlusconi.
- 2. La Lega, de Matteo Salvini.
- 3. Mario Draghi, Premier ministre chargé de régler les affaires courantes après sa proposition de démission lors de la crise de juillet 2022, crise qui a provoqué la convocation d’élections anticipées au 25 septembre dernier.
- 4. L’équivalent de la CGT.
- 5. Groupe néofasciste.
- 6. Mouvement populiste, créé par l’humoriste Beppe Grillo, qui oscille de gauche à droite, dirigé aujourd’hui par Giuseppe Conte.