En avril 1982, une guerre éclatait entre l’Argentine et la Grande-Bretagne concernant la souveraineté britannique sur les Malouines. 30 plus tard, le gouvernement Kirchner remet la question à l’ordre du jour.Avant tout, il faut rappeler que les îles Malouines (appelées Falklands par les Britanniques) sont argentines car elles ont été occupées par la force, peuplées de colons étrangers et maintenues sous l’occupation britannique à partir du début du xixe siècle, en 1833. Depuis lors, tous les gouvernements argentins dénoncent régulièrement ce vol.
Toutefois, la demande de la restitution des Malouines n’a été au premier plan de la politique nationale qu’au cours de deux périodes : en 1982, au début de l’agonie de la dictature militaire, mise à mal par les grèves, les manifestations et les mouvements de masse, et maintenant, sous le second mandat présidentiel de Cristina Fernandez Kirchner. En effet, elle n’a dit et n’a fait rien d’important à ce sujet lors de son premier mandat ni lorsqu’elle était sénatrice sous la présidence de Menem. Toutes les dictatures qui ont suivi de 1955 à 1976, comme les gouvernements de Perón et le péronisme ne se sont pas non plus préoccupées des Malouines.
DiversionLa dictature militaire a cru devoir instrumentaliser le cas des Malouines en tant que diversion pour renforcer son pouvoir et son prestige en déclin et s’est lancée dans une aventure, croyant qu’elle ne provoquerait pas une guerre. Je crains que si le gouvernement argentin actuel remplit ses médias de la revendication légitime de restitution des îles colonisées par le Royaume-Uni, ce n’est pas parce qu’il a une soudaine démangeaison anti-impérialiste, mais pour ne pas avoir à parler des augmentations salariales, de la prédation de l’exploitation minière et de celle du soja, des problèmes des chemins de fer et de l’énergie ainsi que de la loi antiterroriste imposée à la demande d’Obama. En outre, je crois aussi que le 14 juin, quand la présidente participera à la Commission de décolonisation de l’ONU, elle réitérera la juste exigence de la dévolution des îles et la dénonciation du colonialisme britannique, mais elle ne demandera pas en même temps la fin de la colonisation de Porto Rico, occupé par les États-Unis depuis 1898 ni la fin de la colonisation des territoires usurpés par Israël aux Palestiniens.
Toute cette rhétorique et cette exploitation d’un sujet, que tous les Latino-Américains ont à cœur, n’ont d’autre but que celui de masquer une politique conservatrice. Le pire, c’est que des secteurs progressistes participent à cette escroquerie, perdant la tête au son de la fanfare du nationalisme.
Le nationaliste « socialiste » Jorge Abelardo Ramos, tant cité et recommandé par la présidente, était, souvenons-nous, le dernier civil qui a visité les îles Malouines alors que l’aventure de la dictature avait déjà démontré sa faillite. Rappelons qu’un avion avait été affrété par les exilés Montoneros1, pour combattre sous le commandement d’un dictateur qui avait tué des dizaines de milliers de militants de toutes sortes et opprimé le peuple de l’Argentine. Notons aussi que l’immense majorité de la gauche argentine, à commencer par plusieurs groupes autoproclamés trotskistes, jusqu’aux socialistes et communistes, avait soutenu l’aventure militaire de la dictature. Le fondement « théorique » de cette position aberrante était que la Grande-Bretagne était un pays impérialiste alors que l’Argentine était considérée comme une semi-colonie, un pays dépendant. Nous fumes alors seulement quelques-uns dans le pays et une poignée en exil opposés à la guerre. Dans mon cas, j’ai immédiatement publié dans le quotidien mexicain Uno más uno un article expliquant que l’ennemi principal était la dictature, que les îles Malouines étaient argentines, mais que les morts et les disparus l’étaient également, qu’une victoire permettrait de renforcer la dictature de Galtieri et d’autres assassins, que la guerre allait entraver le processus de désarmement britannique en cours (en effet, il a été arrêté) et renforcer le secteur le plus colonialiste, en commençant par le renforcement de Thatcher (immédiatement après la guerre elle a isolé et écrasé les mineurs en grève), et que le nationalisme fomente des nationalismes opposés. Alberto Di Franco, Adolfo Gilly et ce grand socialiste et historien Sergio Bagú ont pris la même position, qui a provoqué beaucoup de controverses parmi les exilés argentins et au sein de la gauche mexicaine.
Opposition à la guerreQuelle fut l’attitude de la gauche mondiale ? Celle de soutenir la résistance à la colonisation et la rébellion contre le colonialisme des peuples victimes, comme dans le cas de l’Afrique du Nord, lors de la rébellion tribale d’Abd el Kader contre les colonialismes français et espagnol dans les années 1920, ou des guerres de libération en Algérie ou en Indochine dans les années 1950 et 1960. Même Trotsky formula l’hypothèse que, face à une éventuelle attaque de « la démocratique » Angleterre contre le Brésil, gouverné dans les années 1930 par la dictature de Vargas, il faudrait défendre le pays semi colonial contre son agresseur impérialiste « démocratique ».
Mais la guerre des Malouines a été déclenchée par la dictature argentine et non par l’Angleterre et c’était une manœuvre de diversion d’un gouvernement qui collaborait avec la CIA, envoyait des tortionnaires en Amérique centrale et dont la politique internationale était anticommuniste, anticubaine et pro-impérialiste, qui était le sauvage oppresseur des travailleurs et du peuple au nom de son alliance avec l’oligarchie et les multinationales. Lorsque, avec de nombreux exilés (par exemple Juan Gelman), nous sabotions la coupe du monde de football que la dictature utilisait pour acquérir une légitimité et un soutien populaire, nous avions eu recours au même défaitisme : le mieux pour les travailleurs argentins serait la défaite de l’aventure, car elle raccourcirait la survie de la dictature (comme cela s’est produit) et parce que la guerre inoculait le nationalisme en Argentine et en Angleterre plutôt que de développer des idées internationalistes, pacifistes, socialistes.
Il est bien que l’on dise aujourd’hui qu’il y avait des gens qui ont maintenu une position de principe, opposée à l’idée que ce sont les États (que certains confondent avec les gouvernements) qui sont le pays réel et qui se fondent au contraire sur la distinction entre les classes exploitées et opprimées et les classes dirigeantes unies, en dépit de leurs différends et des frontières, pour la défense du système d’exploitation. Ceux qui n’ont pas appris de l’expérience passée sont dangereux pour leur peuple et pour la démocratie.
Guillermo Almeyra* Guillermo Almeyra, militant trotskiste argentin exilé et établi au Mexique, est analyste international du quotidien mexicain progressiste La Jornada. Cet article a été publié dans Inprecor de mars 2012.1. Organisation péroniste qui pratiqua la lutte armée entre 1970 et 1979.