Publié le Mercredi 2 novembre 2022 à 10h24.

Le Poutinisme, une nouvelle forme de fascisme ?

Nous publions un extrait d’un article de notre camarade Ilya Budraitskis, dans lequel il questionne la nature du régime de Poutine et son évolution vers un régime fasciste.

Derrière la politique agressive du Kremlin se cache un raisonnement qui renvoie à l’idéologie impérialiste classique, selon laquelle les relations entre pays sont fondées uniquement sur la loi du plus fort. S’il a critiqué les interventions militaires étatsuniennes en Irak ou en Afghanistan dans ses discours, Vladimir Poutine était surtout en désaccord avec la revendication par Washington du droit exclusif de mener des interventions impériales, d’étendre sa sphère d’influence et de condamner les autres puissances qui osent faire de même. Le défi que Poutine a lancé à l’Occident s’est réduit à dénoncer « l’hypocrisie » des États-Unis : pourquoi sont-ils autorisés à faire ce que les autres n’ont pas le droit de faire ?

Le « droit » du plus fort

Ce qui était auparavant la chasse gardée de l’impérialisme US, selon Poutine, doit désormais devenir la seule loi reconnue de la politique internationale. Dans sa vision du monde, seuls certains États sont déterminés « organiquement » à devenir des empires dotés d’un pouvoir « souverain » de déclencher des guerres, tandis que d’autres sont destinés à être des « colonies », des objets à contrôler et à conquérir. Le droit de ces États « souverains » à exercer un pouvoir arbitraire extérieur correspond à leur droit à exercer un pouvoir arbitraire intérieur : si derrière chaque droit il n’y a finalement que la force nue, alors les droits humains ou le droit à la représentation démocratique dépendent aussi inévitablement de la force, et ne sont donc que des armes brandies pour exercer une influence extérieure.

De cette logique impériale découle inévitablement la position constamment anti­révolutionnaire et antidémocratique de l’élite russe : les protestations et les soulèvements sont toujours contrôlés de l’extérieur par des puissances hostiles, qu’il s’agisse des manifestations de l’opposition russe en 2011, du printemps arabe ou de la révolution russe de 1917, que Poutine considère elle aussi comme le résultat d’activités de services de renseignements étrangers. On observe aisément qu’un tel schéma idéologique assimile les États à des individus qui, dans une société de marché, sont engagés dans une lutte mutuelle constante pour le succès, la domination et la reconnaissance.

Politique étrangère et politique intérieure

La même loi naturelle régit les États, les communautés nationales et les vies humaines : soit vous affirmez votre droit existentiel au détriment d’un autre, soit vous devenez la victime de l’affirmation de ce droit par d’autres puissances. Dans la Russie de Poutine aujourd’hui, cette idéologie est définitivement passée de la rhétorique à la pratique, avec un pouvoir qui ne repose pas seulement sur les idées réactionnaires ou chauvines d’une partie de la société russe, mais sur la rationalité du marché néolibéral qui y prévaut. Divisée en individus séparés et opposés, une telle société devient un ensemble obéissant entre les mains des élites, et accepte sa propre impuissance et son incapacité à agir de manière solidaire, le tout en conformité avec un destin historique supposé immuable et des lois quasi organiques qui régissent la vie sociale.

L’invasion de l’Ukraine a fermement établi dans la Russie de Poutine un lien inextricable entre politique étrangère et politique intérieure, où l’une est la continuation inévitable de l’autre. La guerre a initié la transformation du régime russe en une forme qualitativement nouvelle : une dictature, dans laquelle toute expression publique qui diffère de la politique officielle est un crime, et toute tentative d’agir collectivement équivaut à une trahison de l’État-nation. Ce lien entre, d’une part, une atmosphère de peur et de subordination, et, d’autre part, le chauvinisme et l’agression impérialiste, ainsi que l’identification complète de la volonté de la nation avec les décisions du dirigeant autoritaire, ont amené beaucoup de gens, ces derniers mois, à comparer la Russie de Poutine — à mon avis, à juste titre — au fascisme.

Traduction J.S.

Lire l’intégralité de l’article (en anglais) sur https://spectrejournal.com/putinism/