Le voyage du président Joseph Biden au Moyen-Orient la semaine dernière, où il a rencontré les chefs de gouvernement israélien (et accessoirement le chef de l’autorité palestinienne) et saoudien, a troublé de nombreux membres de son propre parti démocrate et mis en colère certains progressistes.
L’objectif stratégique le plus important de Biden était de consolider les relations des États-Unis avec les États clés de la région, tout comme il l’a fait en Europe, dans la perspective du conflit qui oppose les États-Unis à la Russie et des défis posés par la Chine. Dans l’immédiat, il espérait sauver la perspective d’un accord sur le nucléaire iranien, obtenir de l’Arabie saoudite qu’elle mette davantage de pétrole sur le marché et renforcer une fois de plus l’engagement des États-Unis envers Israël. Ses projets, cependant, pourraient être compliqués par deux meurtres, tous deux symboliques des grands problèmes dans la région.
L’ombre de Jamal Khashoggi
Le 2 octobre 2018, des agents du gouvernement saoudien ont assassiné Jamal Khashoggi, un journaliste saoudien dissident et chroniqueur du Washington Post, un acte apparemment exécuté sur ordre du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, qui dirige en fait le pays. Si le meurtre brutal et horrible de Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul semble hors norme, ce sont des milliers d’autres personnes qui sont également victimes de la répression en Arabie saoudite. Amnesty International écrit que « le tribunal pénal spécialisé du Royaume [saoudien] a prononcé de lourdes peines de prison à l’encontre de personnes pour leur action en faveur des droits humains et l’expression d’opinions dissidentes. »
En tant que candidat à la présidence en 2020, Biden avait exprimé sa conviction que Khashoggi avait été assassiné sur l’ordre du prince héritier, et il s’était engagé à affirmer très clairement que « nous n’allons pas leur vendre plus d’armes, nous allons leur faire payer le prix et faire d’eux, en fait, les parias qu’ils sont. » Aujourd’hui, cependant, alors que le pétrole se fait rare et que les prix augmentent, et donc que le contrôle du Moyen-Orient revêt une importance stratégique dans le grand jeu de la domination mondiale, tout cela est oublié. Biden n’a jamais imposé de sanctions à l’Arabie saoudite et le Congrès a continué à approuver des milliards de dollars de contrats militaires.
Shireen Abu Akleh, un symbole
L’autre meurtre qui planait sur la visite de Biden est celui de Shireen Abu Akleh, une journaliste américano-palestinienne de la chaîne de télévision Al Jazeera, qui a été abattue le 11 mai de cette année par les forces de défense israéliennes. Alors que l’armée israélienne a d’abord nié que ses soldats étaient responsables, les enquêtes de l’Associated Press, de Bellingcat, de CNN, du New York Times et du Washington Post ont toutes conclu de manière indépendante qu’elle avait été tuée par des tirs de soldats israéliens, tout comme le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. CNN a suggéré qu’elle avait été prise pour cible par l’armée, comme le pensent de nombreux Palestiniens et d’autres personnes.
Comme le meurtre de Khashoggi, celui d’Abu Akleh n’est pas seulement un événement horrible, mais aussi hautement symbolique de la situation des PalestinienEs dans les territoires occupés : ils ont été dépossédés et sont privés de leurs droits fondamentaux, soumis à des contrôles humiliants de leurs mouvements et violemment réprimés. Contrairement à son vœu de traiter l’Arabie saoudite comme un paria, Biden n’a jamais fait de promesses importantes de soutien aux PalestinienEs et à leurs droits. Biden se dit sioniste et affirme que si Israël n’existait pas, les États-Unis auraient dû le créer. Mais le soutien d’Israël au sein de la population étatsunienne est en baisse, surtout chez les Démocrates, et une fraction croissante des Juifs étatsuniens soutient les droits des Palestiniens. Un quart considèrent qu’Israël est un « État d’apartheid».
Certains progressistes américains, les Socialistes démocratiques d’Amérique (DSA) et d’autres courants de gauche – dont de nombreux juifs – soutiennent le mouvement de Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) mené par les PalestinienEs, qui vise à faire pression sur Israël pour qu’il se retire des territoires occupés, qu’il accorde des droits pleins et égaux aux citoyenEs palestiniens et qu’il garantisse le droit de retour des PalestinienEs sur leurs terres et dans leurs foyers.
Il est peu probable que le voyage de Biden fasse faire le moindre pas en avant à la situation des droits humains en Arabie saoudite ou en Palestine. Mais, au-delà des bonnes paroles, ce n’était pas son objectif.
Traduction Henri Wilno