Le 3 avril, Aleksandar Vučić a été élu président de Serbie, dès le premier tour, avec plus de 55 % des suffrages (contre quelque 16 % pour son principal opposant et des résultats dérisoires pour les neuf autres). Dès le lendemain des élections, et tous les jours depuis, des milliers de manifestantEs – à dominante très jeune – se sont mobilisés dans une dizaine de villes du pays.
Contre un régime de plus en plus tentaculaire et corrompu, ils dénoncent des élections « grotesques » : selon le Bureau d’études (BIRODI), Aleksandar Vučić a disposé de 250 minutes de plus que les dix autres candidats réunis. Il faut dire qu’il pouvait s’exprimer à plusieurs titres : candidat à la présidence, il est aussi Premier ministre de l’actuel gouvernement et chef du SNS, Parti progressiste serbe, omniprésent, dont le président sortant Tomislav Nikolić, est le fondateur. Moscou a commencé à dénoncer des opérations de manipulation occidentale supposées vouloir faire tomber un pouvoir ami de la Russie.
Un régime entre Russie et Union européenne
Pourtant le soir même de l’élection, le Commissaire européen Johannes Hahn s’est empressé de féliciter A. Vučić, évoquant le chemin que la Serbie et l’UE allaient désormais suivre « ensemble ». Des propos relayés dès le lendemain par Jean-Claude Juncker et Donald Tusk. Certes, le SNS, parti du président sortant comme du nouvel élu, collabore avec Russie-Unie et est membre du Parti populaire européen. Mais, depuis 2012, quand T. Nikolic devient président en battant Boris Tadić, pro-occidental, les dirigeants du SNS ont ouvertement revendiqué une orientation de « pont » entre Russie et UE.
Comme chef du gouvernement depuis 2014, Aleksandar Vučić a manifesté la volonté d’adhérer à l’UE : sans renoncer au Kosovo, il a affiché une volonté de se plier au dialogue avec Pristina, arbitré par l’UE. Et la Serbie a conduit plus d’exercices militaires avec l’Otan qu’avec la Russie. Certes, le pays a subi le choc de la crise ukrainienne tant dans ses relations commerciales que politiques (en refusant d’appliquer les sanctions à la Russie) et dans son rôle de corridor énergétique entre Russie et UE – alors même que l’espoir de nouvelles adhésions à l’UE, après celle de la Croatie en 2013, a été renvoyé à 2020. Mais les dirigeants de l’UE cherchent plus à s’appuyer sur Aleksandar Vučić qu’à l’abattre...
Vers un printemps protestataire ?
L’ex Premier ministre Vučić s’est déclaré « plus FMI que le FMI » quand il a annoncé le gel des salaires des fonctionnaires et des pensions de retraite en 2015. Si sa cote de popularité a été associée à ses attaques contre des oligarques corrompus, il a durci la législation contre le droit de grève et règne de façon clientéliste et frauduleuse.
Les jeunes qui manifestent dénoncent la nécessité d’avoir la carte du parti pour trouver un job et les faux diplômes des apparatchiks. Contre les opérations de division, les manifestantEs ont affiché dans une déclaration commune, leur indépendance envers tous les partis, au pouvoir comme dans l’opposition. Dénonçant la baisse des salaires, et des retraites, protestant contre les agressions homophobes et solidaires des travailleurs en grève, les protestataires ont reçu des soutiens syndicaux. Fustigeant avec humour et inventivité créative leurs détracteurs, les jeunes refusent de devenir « de la main-d’œuvre bon marché en Allemagne ». Leur slogan préféré : « Soyons réalistes, demandons l’impossible ». Le pouvoir joue le pourrissement.
Catherine Samary