Les multinationales Alphabet (Google), Facebook, Amazon et Microsoft (GFAM), se sont lancées dans un nouveau domaine d’expansion et d’investissement : celui des câbles de fibre optique sous-marins.
À l’heure actuelle, le trafic des données numériques transite principalement sous les eaux. Les 486 câbles sous les mers et les océans transportent 99 % de ce trafic. Il y a certainement en plus des câbles à usage exclusivement militaire.
Le télégraphe au service des capitalistes
Historiquement, les premiers câbles sous-marins furent installés par des compagnies de télégraphe et de téléphone et servaient principalement pour échanger des informations commerciales et financières. Traders et spéculateurs n’avaient ainsi plus à attendre des bateaux apportant les nouvelles.
À l’époque, c’était déjà une révolution. L’arrivée des satellites dans les années 1960 laissait penser à la fin du câble, car il ne pouvait pas transmettre les images télévisées alors en pleine expansion. L’émergence d’Internet dans les années 1980 a favorisé largement des compagnies nord-américaines pour des raisons technologiques (l’arrivée de la fibre optique) et financières (l’importance des capitaux à investir dans les nouvelles infrastructures).
Aujourd’hui, ce marché a changé d’échelle et de nature. L’importance est désormais dans le volume de données devenues des marchandises (réseaux sociaux, télévision à la demande, informations en temps réel, communications téléphoniques, centres de données). Non seulement les volumes sont en forte croissance entre les continents, d’un facteur trois à quatre durant les quatre dernières années, mais le volume en valeur absolue est gigantesque, nécessitant des nouvelles échelles d’évaluation.
Le retour des États-Unis
Les GFAM avaient flairé la bonne affaire il y a une dizaine d’années. Elles s’étaient lancées dans la construction de nouveaux câbles parallèles aux existants, mais dotés d’une plus forte capacité de transport, dont elles étaient propriétaires exclusives ou partielles.
Seules ces compagnies possèdent les moyens financiers pour ces nouveaux investissements. Un câble transatlantique pouvant coûter jusqu’à 300 millions de dollars.
Ces investissements se sont révélés payants pour les GFAM, dont l’usage de bande passante pour leurs services est passé d’environ 5 % en 2010 à presque 70 % en 2020, au détriment des opérateurs télécom.
Cette infrastructure planétaire permet d’envisager de nouveaux marchés, déjà dominés par les GFAM. Du point de vue géopolitique, c’est le retour d’une domination étatsunienne. Google détient 23 centres de données, dont 14 sont situés sur le territoire des États-Unis. Avec les câbles propriétaires, même un centre de données européen peut être considéré comme une simple extension étatsunienne.
La fabrication de la fibre optique est dominée par l’étatsunien Corning et le japonais Sumitomo. La compagnie étatsunienne SubCom est l’un des plus grands fabricants mondiaux de câbles, avec le japonais NEC. La France a décrété en 2017 que la flotte de câbliers français de la firme ASN était intégrée à la flotte stratégique.
Quelle sobriété ?
Les termes sobriété énergétique et technologique sont aujourd’hui largement répandus. Or, ces investissements ont des conséquences néfastes. Ces nouvelles liaisons sont à l’évidence destinées à multiplier la capacité de transfert de données, et sont l’illustration de la volonté de continuer à avoir un marché en forte croissance, antonyme de sobriété.
Des données à entreposer dans des centres toujours en expansion et en construction : ces opérations ont un coût énergétique. Même si la consommation énergétique unitaire est réduite par l’évolution technique, la multiplication et l’extension des installations continuera d’augmenter l’usage d’énergie et de matériaux. Comme dans d’autres domaines, la concurrence capitaliste va provoquer des surcapacités et donc, en cas de crise, l’abandon d’une partie de ces infrastructures.
Face à la mainmise des GFAM, les opérateurs historiques mettent en avant les questions de souveraineté, de confidentialité et de sécurité nationale. Nous nous interrogeons plutôt sur la frénésie de croissance et de consommation globale, sans égard pour les ressources naturelles et pour l’utilité sociale.
Paru dans le n° 415 de solidaritéS (Suisse)