Publié le Jeudi 2 septembre 2021 à 08h00.

L’héritage de Hissène Habré au Tchad

L’ancien dictateur du Tchad (1982-1990) est mort du Covid le 24 août. Contrairement à son successeur Idriss Déby, tué en avril dernier, et dont les funérailles se sont faites avec toute la pompe françafricaine imaginable, Hissène Habré est parti, lui, sans tambour, ni trompettes, ni roses devant sa porte ou hommages ministériels.

Et pour cause ! Hissène Habré était en prison depuis 2015, condamné à perpétuité pour crimes contre l’humanité par un tribunal spécialement créé par l’Union africaine pour l’occasion. Une sanction judiciaire qui n’avait rien à voir avec une quelconque pression diplomatique française, pourtant jamais avare de leçons sur les droits humains, ni à une préoccupation morale de l’Union africaine, ce syndicat de dictateurs : elle devait tout à l’énergie des associations de victimes qui ont lutté avec acharnement pendant des années contre l’impunité organisée à grands coups de pots-de-vin envers les politiciens et journalistes sénégalais.

Un immense mouroir à ciel ouvert

Malheureusement, pour éviter un trop grand déballage, le procès s’était concentré sur le seul Habré, laissant dans l’ombre le système qu’il avait construit et légué aux Déby (père et fils). La matière ne manquait pourtant pas. C’est que la courte dictature d’Hissène Habré a largement dépassé en férocité celle de son successeur. Pendant huit ans, le pays a été transformé en un immense mouroir à ciel ouvert, essaimé de charniers, de prisons où l’on pratiquait des tortures en tout genre, où l’on tuait impunément, dans un environnement concentrationnaire sciemment organisé : parti unique, organisation des femmes unique, organisation des jeunes unique, le tout encadré par un système policier bâti sur le modèle des dictatures les plus hideuses du continent, comme celle de Mobutu. Tout contestation était bannie et l’interdiction des grèves était même inscrite dans la Constitution. Ce régime ignoble justifiait son existence par un grossier mensonge d’État selon lequel la Libye du dictateur Kadhafi, un pays sous-développé, dominé lui aussi par les puissances impérialistes malgré ses pétrodollars, ambitionnerait tout simplement de « coloniser », d’« annexer » ou plus trivialement, de « manger » le Tchad. Pas moins que ça !

De Habré à Déby

C’est précisément au nom de la lutte anti-Kadhafi que la France et les États-Unis ont soutenu et armé le régime Habré, déployant (déjà) des troupes dans le nord du pays1 fermant complaisamment les yeux sur les massacres ethniques2, les violences, la corruption et le détournement des fonds publics par les proches du pouvoir, alors que les masses populaires se retrouvaient saignées à blanc par les contributions croissantes pour « l’effort de guerre ».

Le 1er décembre 1990, le dictateur dut finalement s’enfuir de sa capitale (après avoir raflé le trésor et les caisses des entreprises publiques) devant l’avancée des troupes de Idriss Déby Ito, son ancien lieutenant. Un épisode plus proche d’une révolution de palais que d’une rupture radicale avec le régime déchu. La DGSE française reprochait en effet à Habré de faire les yeux trop doux à l’allié étatsunien et poussait Déby, alors en rupture de ban, à la révolte ! Pour le reste, rien n’avait changé : des généraux aux gardiens des prisons en passant par les ministres, les députés, les préfets, les juges, les directeurs généraux et autres tortionnaires, tout le système Habré est resté en place. Certes, il fallut concéder à l’air du temps quelques changements formels, comme l’instauration du multipartisme ou le droit de grève, mais pour le reste, le Tchad des Déby reste dans la lignée de Habré : assassinats, ethnicisme, régionalisme, népotisme, clientélisme, exploitation éhontée des ressources humaines et naturelles au profit d’une minorité de parasites, pillage des deniers publics, rigorisme religieux nauséabond ! Le tout avec la bénédiction de l’impérialisme français.

  • 1. 1 – L’opération Épervier dans le nord du Tchad en 1986, qui sera prolongée et remplacée par l’opération Barkhane en 2014.
  • 2. 2 – Notamment les massacres de « Septembre noir » dans le sud du Tchad en 1984 menés par Idriss Déby, puis ceux à l’encontre des Adjaraïs, en 1987, et finalement en 1989 des Zakhawas, l’ethnie de Déby, parmi lesquels sont recrutés une partie significative des forces armées. Réfugié au Soudan, Déby reviendra les armes à la main quelques mois plus tard.