Malgré les nombreuses carences de la Minusma, son départ, exigé par la junte malienne, risque d’aggraver la situation des populations civiles et reflète une fuite en avant des putschistes.
On savait que les relations entre les autorités maliennes et les responsables de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) n’étaient pas au beau fixe. Cependant ce fut une surprise d’entendre le ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop exiger « le retrait sans délai » de la mission onusienne.
Relations tendues
La surprise passée, les négociations sur le retrait ont eu lieu. D’une exigence des autorités maliennes d’un délai de trois mois, jugé par tous comme peu réaliste, un accord est intervenu sur un départ au tout début de l’année 2024.
Depuis le second putsch en mai 2021, de nombreux incidents ont émaillé les relations entre junte et Minusma : expulsion du directeur de la division des droits de l’homme Guillaume Ngefa ; refus depuis le 11 octobre 2022 d’autoriser les vols des drones de reconnaissance de la Bundeswehr et de nombreux vols d’aéronef ; détention de 49 soldats ivoiriens mandatés par l’ONU ; tracasseries administratives pour les importations de biens de la mission, etc.
À cette liste s’ajoutent les obstacles aux enquêtes de la Minusma sur les violations des droits humains perpétrées par l’armée malienne et les mercenaires de Wagner. La junte a tout fait pour empêcher la parution du rapport sur le massacre de près de 500 civilEs dans la ville de Moura dans lequel est impliqué l’armée et ses supplétifs russes.
Conséquences pour la population
Officiellement, la junte reproche à la Minusma son incapacité à enrayer les violences des djihadistes. Ce grief n’est pas nouveau. Déjà en 2016, le Mali demandait au Conseil de Sécurité de l’ONU un mandat plus robuste pour la Minusma. Cette dernière avait tenté de répondre à cette requête en vain. En effet elle a des objectifs liés à la paix et n’est pas structurée pour mener des actions offensives. Elle a un rôle de protection des civils et de stabilisation politique dans le pays en favorisant la présence de l’État sur l’ensemble du territoire.
Avec un contingent de 13 000 soldats et présente sur plus d’une dizaine d’emprises à travers le Mali, la Minusma, malgré d’évidentes carences, s’est avérée utile. Elle a permis aux fonctionnaires et membres du gouvernement de se déplacer à travers le pays en mettant à disposition avions et hélicoptères. Elle a joué les facilitateurs entre les autorités et les groupes armés signataires de l’accord de paix d’Alger de 2015. Enfin, malgré ses limites, elle a contribué à la protection des civils et reste une source d’information sur les violations des droits humains de toutes les parties du conflit.
Fuite en avant
La présence militaire française avec Barkhane était centrée sur le tout-sécuritaire, interdisant aux MalienEs une approche politique de ce conflit. En se débarrassant de Barkhane, la junte avait la possibilité de rompre aussi avec cette politique. Elle n’a pas fait ce choix. Pire elle accentue les opérations militaires coûteuses en victimes civiles sans pour autant réussir à contenir les avancées des islamistes.
Si la junte veut en finir avec la Minusma c’est pour être dans un entre-soi avec Wagner et écarter tous les témoins des conséquences humaines de sa fuite en avant sécuritaire. Même si pour cela, elle doit pâtir d’une dégradation des moyens logistiques. En effet le groupe de Prigojine est loin de posséder le niveau de flotte en avions et hélicoptères de la mission onusienne. Les putschistes tentent de compenser leurs échecs sur le terrain par une surenchère souverainiste, même si elle est de façade au vu du poids que prend Wagner dans les affaires de l’État. La décision de mettre fin à la Minusma correspond aussi à une accentuation de l’autoritarisme de la junte. Le rétrécissement de l’espace démocratique en témoigne ainsi que le dernier remaniement gouvernemental. Deux des quatre ministres issus des groupes armés signataires des accords de paix sont remerciés, tout comme ceux proches du Premier ministre Choguel Maïga.
On ne peut que craindre pour les populations civiles, coincées entre l’armée malienne accompagnée des mercenaires de Wagner, et les djihadistes d’al-Qaïda et de Daech.