À l’inverse des récents résultats électoraux en Amérique latine (Équateur, Salvador, Argentine…), le Mexique vient de connaître une victoire éclatante du « progressisme » lors des élections présidentielles, législatives et de quelques gouverneurs d’État.
Aux présidentielles, c’est Claudia Sheinbaum, qui se présentait comme l’héritière et la continuatrice d’Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO), soutenue par son parti, MORENA (Mouvement de régénération nationale), qui l’emporte haut la main, sur sa concurrente, candidate de la coalition des trois partis de droite (PRI, PAN, PRD). Avec 60 % des suffrages exprimés, elle écrase la candidate de la droite, pourtant lourdement appuyée par l’immense majorité des médias, qui n’obtient qu’à peine 30 % des voix. Aux élections législatives la coalition de MORENA emporte 365 sièges sur 500 et disposera de la majorité qualifiée permettant de faire passer des lois constitutionnelles, ce qui n’était pas le cas sous la présidence d’AMLO.
Rejet populaire des politiques
Ces résultats confirment d’abord le profond rejet d’une grande majorité du peuple mexicain à l’égard des partis qui ont dominé et cadenassé la vie politique pendant des décennies. Déjà en 2018, la victoire d’AMLO avait ébranlé le régime corrompu instauré par le PRI, relayé par le PAN. Les partis dominants espéraient que les difficultés économiques et sociales useraient rapidement le gouvernement de Lopez Obrador et ne s’étaient pas fait faute d’essayer de le déstabiliser tout au long des six années de son mandat présidentiel (non renouvelable au Mexique). Mais malgré les profondes limites de sa politique, les mesures économiques et sociales prises en faveur des couches les plus défavorisés et les freins mis aux politiques et pratiques les plus violentes du néolibéralisme ont assuré à son gouvernement un soutien largement majoritaire dans la population.
Cette popularité s’est reportée sur sa candidate dont l’ancien mandat à la tête de la municipalité de la ville de Mexico et les prises de position féministes ont également compté dans sa large victoire.
Fin de la « dictature parfaite »
Il faut prendre la mesure de ce que signifie ce triomphe électoral. Le régime qui a prévalu au Mexique depuis près d’un siècle (« la dictature parfaite »), où un parti, le PRI, concentrait tous les pouvoirs, gérait un système corrompu jusqu’à la moelle, contrôlait toutes les organisations de masse, syndicats compris, gagnait toutes les élections, en les truquant quand il le fallait, dans un cadre formellement démocratique, semble touché à mort. Après avoir dû, au début des années 2000, partager une partie du pouvoir avec un parti de droite, le PAN, et une scission venue de ses rangs, le PRD, le PRI ne fait plus que 10 % des voix et, avec ses alliés, se retrouve minoritaire au parlement comme dans les gouvernements d’États.
La campagne électorale a été marquée par une profonde polarisation. Aux accusations les plus délirantes de la droite et des médias contre Lopez Obrador et sa candidate, ceux-ci ont répondu par des mobilisations populaires massives. Cela s’est traduit par une forte politisation dans les couches populaires et un taux de participation inhabituel, 60 % comme en 2018, lors de l’élection d’AMLO à la présidence.
Le large crédit de Claudia Sheinbaum
Le rejet confirmé des partis du vieux système ne garantit pas un vrai et profond changement pour les classes populaires. La politique du président sortant a reposé sur un mode de gouvernement personnaliste, des rapports très ambigus vis-à-vis des mouvements sociaux, une économie certes en partie redistributive, mais toujours fondée sur l’extractivisme. AMLO n’a pas non plus fait reculer le poids des narcotrafiquants et la violence endémique, notamment contre les femmes. Claudia Sheinbaum bénéficie d’un crédit qui dépasse aujourd’hui celui de son prédécesseur, et elle dispose d’une majorité parlementaire qui lui donne au départ des moyens supplémentaires pour promouvoir des réformes radicales. Le voudra-t-elle ? le pourra-t-elle ?
Le fait que parmi les nouveaux élus de son parti MORENA, une grande partie sont des transfuges des vieux partis du système et qu’aucun ne provient de la gauche du parti, n’est pas un bon signe dans ce sens. Mais la pression et l’intervention populaire et des mouvements sociaux qui se sont mobilisés dans la campagne peuvent à l’inverse l’y pousser.