Publié le Jeudi 29 octobre 2015 à 13h20.

Offensive xénophobe en Allemagne

Ce qu’une main a donné, l’autre le reprend-elle ? On ne pourra se défaire de cette impression, quand on suit l’actualité autour des politiques en matière de migration et d’asile qui concerne l’Allemagne.

Elan de solidarité

Au cours de l’été 2015, surtout fin août et début septembre, on avait l’impression de rêver. L’Allemagne, qui avait connu une vague de violences inouïe contre l’afflux de migrants dans les trois années après la chute du Mur (avec 18.000 infractions racistes, du délit d’injure ou d’incitation à la haine jusqu’à l’assassinat, pour la seule année 1992), paraissait presque transformée. Le pays semblait accueillir les migrant-e-s, les réfugié-e-s à bras ouverts, en faisant la fête. Dans des gares comme celle de Munich, des centaines voire de milliers de personnes se rassemblaient pour recevoir les familles (notamment) syriennes qui arrivaient, après avoir traversé les Balkans, la Hongrie, l’Autriche. Au même moment, le gouvernement fédéral allemand indiquait qu’il acceptaient les réfugié-e-s de guerre de Syrie et d’Irak sur le sol allemand, sans leur opposer la convention de Dublin (qui veut que ce soit le premier Etat européen dont le sol a été foulé qui prenne en charge la demande de protection : Grèce, Italie, Hongrie..). Juste avant de se reprendre, puisqu’au bout de 48 heures, l’information fut démentie par voie de communiqué de presse gouvernemental…

C’était quand c’était encore possible, après que le régime des frontières de la forteresse Europe avait craqué au cours de l’été (en commençant par la Grèce).. mais avant que la Hongrie barricade toutes ses frontières, d’abord avec la Serbie, puis avec la Croatie. Certes, désormais, une nouvelle route est ouverte à travers la Slovénie. Mais la police et l’armée slovènes, le gouvernement ayant mobilisé cette dernière à l’occasion, ont commencé à en chasser les réfugié-e-s ce week-end.

Surtout, l’Allemagne a réintroduit à son tour des contrôles aux frontières avec l’Autriche (et avec la France au niveau de l’Alsace d’ailleurs), depuis le 14 septembre dernier. Sachant que le GdP, un syndicat de policiers, exige à son tour qu’on y érige carrément une clôture ou un mur… En attendant, la Bavière, Etat-région dirigé par la droite chrétienne-sociale CSU – une branche de la CDU particulièrement droite – et frontalier avec l’Autriche, pratiquait déjà une politique extrêmement dure et « musclée », même lorsque la politique officielle était encore tournée vers l’accueil des migrant-e-s. Au moins 70 personnes ont été mises en garde à vue et font l’objet de poursuites pénales, rien que pour avoir amené unE réfugié-E (se déplaçant vers l’Allemagne) ou une famille en voiture depuis l’Autriche voisine, en août ou septembre. Des personnes qui n’avaient rien de « passeurs », de mafieux tirant un profit économique de la détresse des migrantes face à la fermeture des frontières : des parents de famille, un ingénieur se rendant au travail, des touristes au retour de vacances.

Contre-offensive réactionnaire

Lors du « mini-sommet » de l’Union européenne du week-end dernier, l’Allemagne était en pointe pour demander des durcissements. Elle vient de demander à l’Union européenne de créer une procédure pour pouvoir renvoyer des migrantEs en Afghanistan, un pays en guerre vers lequel on n’expulsait plus, dans les faits. C’est aussi l’Allemagne qui a demandé à la Grèce et aux pays des Balkans de « créer des places d’accueil », en vérité : de retenir les migrantEs sur place. Elle vient d’obtenir, dans la nuit de dimanche à lundi, gain de cause à Bruxelles ; 100.000 places seront créés, dont 50.000 en Grèce. Or, on sait pertinemment que les migrantEs n’ont pas choisi ces pays comme destination – puisqu’il n’y a souvent rien : ni de procédure d’asile digne de ce nom (des tribunaux français avaient suspendu depuis plusieurs années les renvois « Dublin » vers la Grèce, pour ce motif) ni de possibilités de gagner sa vie. Ainsi ce seront des camps où les personnes seront « stabilisées » sous une certaine contrainte.

 

Pire : le week-end précédent, la chancelière Angela Merkel s’était rendu en Turquie pour négocier avec le sultan, pardon, le président Recip Teyyep Erdogan. Il s’agissait de lui faire accepter l’accueil de migrants… sur le territoire de la Turquie, pour les fixer dans cet Etat. En contrepartie, il y aura des facilitations d’obtention de visas pour certaines catégories de Turquie. Surtout, il s’agira de classer la Turquie comme un « pays d’origine sûr », c'est-à-dire un Etat dont les ressortissants ne peuvent pas déposer une demande d’asile dans des conditions normales (ils et elles auront uniquement accès à une procédure express). Or, si on connaît la situation des Kurdes et de certains opposantEs en Turquie, et si l’on sait que malgré toutes les restrictions, 23 % des demandeurs d’asile de ce pays obtiennent l’accord des autorités chargées de l’asile en France, on devine qu’il s’agit là d’un crime.

Les volte-face de Merkel

D’où vient ce changement de position apparemment brusque, de la part de l’Allemagne officielle ? Il est vrai que son gouvernement a tangué, au long de cet été, plusieurs positions s’affichant en son sein. Alors qu’Angela Merkel plaidait pendant plusieurs semaines pour un accueil des migrantEs se déplaçant depuis le Sud-Est de l’Europe, son ministre de l’Intérieur (Thomas de Maizière), la CSU et d’autres acteurs gouvernementaux étaient sur des positions beaucoup plus dures.

La position de la fraction regroupée autour d’Angela Merkel – qui l’a d’ailleurs payé par un net recul de popularité, dans la période la plus récente, pour Merkel (tombée à 52 %) et sa CDU (tombée à 37 % d’intentions de vote) – s’explique par plusieurs raisons. L’ « éthique protestante », parfois citée en France comme facteur motivant ces positionnements, y joue très peu. Elle n’avait pas empêché, en tout cas, sur la période 1990 à 1993 que l’Allemagne sombre alors vers un racisme brutal, du côté gouvernemental comme pour une fraction importante de la population. 

Mais l’expérience de l’époque a appris aux politiques que la radicalisation raciste, qui était alors quasi officiellement encouragée (la politique étatique érigeant alors l’afflux de demandeurs d’asile en « problème numéro Un »), a produit des résultats dangereux. Y compris pour l’Etat. La cellule terroriste NSU (« Clandestinité nationale-socialiste »), découverte en 2011, était née de cette conjoncture-là. Selon les autorités officielles, dont la Justice qui fait actuellement le procès à Munich contre un membre de la NSU (Beate Zschäpe), cette cellule aurait été composée de trois personnes, dont deux décédées. En réalité, elle comptait probablement plutôt une centaine de membres et était entourée d’un réseau de soutiens. Jusqu’à ce jour, onze assassinats connus sont à mettre à son « actif », ainsi que deux attentats à la bombe et des braquages de banque pour se financer. En réalité, on ne connaît pas encore tout de ce mouvement clandestin ; et les premières révélations sur les complicités policières et institutionnelles n’ont pas encore tout dévoilé, non plus. Il est ainsi plausible qu’à la tête de l’Etat, on cherchait à ne pas encourager une deuxième vague de radicalisation néonazie – alors qu’on sait maintenant que la première poussait ses racines jusque dans l’appareil policier -, en connaissance de cause.

Un autre motif réside dans le symbole d l’ouverture, permettant un affichage positif et humaniste sur la scène internationale, alors que l’Allemagne officielle venait d’être critiquée amplement (en juin et juillet notamment) pour sa position très dure vis-à-vis de la Grèce endettée. La charge symbolique est importante : en ce mois de septembre, on commémorait les 25 ans de l’ouverture des frontières à l’Est, qui avait commencé en septembre 1989 en Hongrie puis en République tchèque ; et qui avait sapé le régime de la RDA, préparant ainsi le terrain à la réunification allemande de 1990 (bien qu’une partie de l’opposition progressiste y ait été opposée). C’était donc l’occasion de célébrer un symbole de l’ouverture, celle d’hier – ayant « mis fin au totalitarisme » dans la diction officielle – combinée à celle d’aujourd’hui. Cela a contribué à redorer le blason de l’Allemagne officielle, lui donnant une apparence humaniste.

Les appels des organisations du patronat, qui se plaignent d’une évolution démographique négative (la proportion de jeunes dans la population diminue ; en raison notamment de la difficile compatibilité entre vie professionnelle et familiale en Allemagne, les femmes étant réticentes à faire des enfants), ont aussi joué un rôle. Le patronat, en tout cas dans ses fractions les plus rationnelles et « éclairées » - alors que certains chefs de PME s’adonnent à toutes les campagnes réactionnaires -, n’était pas opposé à l’accueil de migrantEs, y compris en nombre important. Sa principale demande concerne la « débureaucratisation » pour faciliter leur accès au marché du travail ou à une formation professionnelle. Sachant que, bien sûr, certains patrons utilisent la belle occasion pour trouver aussi un argument-bélier contre toute la réglementation du travail. Le week-end dernier, le patron d’Airbus a ainsi plaidé dans la presse allemande pour revoir à la baisse le salaire minimum légal (qui vient d’être introduit en 2015 !), soi-disant « pour faciliter l’intégration professionnelle des réfugiés ».

Le patronat ne joue, ainsi, que ses intérêts évidents. Mais dans une partie de la gauche, cela suscite des réticences à être solidaires des réfugiéEs, jusque dans une partie du milieu de DIE LINKE (principal parti à la gauche du SPD).

Au final, dans le débat public, c’est les prétendues peurs d’ « invasion » et de « submersion » qui l’ont emporté, les autorités revenant vers des positions beaucoup plus restrictives.

En attendant, toute une partie de la population, surtout jeune, reste mobilisée pour montrer sa volonté d’être solidaire et humaniste. Or, comme l’écrit le journal (en ligne) « German Foreign Policy » ce lundi, l’Etat ne fait actuellement plus rien pour permettre à des personnes se déclarant bénévoles de venir en aide aux réfugié-Es. Il s’agit de mettre en scène de façon bien visible, dans les régions frontalières, la prétendue « situation catastrophique face à l’afflux ».

Bertold du Ryon