Le 4 janvier dernier, Salman Taseer a été assassiné à Islamabad par un policier lui servant d’escorte et censé le protéger. Il a payé de sa vie son opposition à la loi criminalisant le blasphème. Moins de deux mois après, le seul ministre chrétien du gouvernement, Shahbaz Bhatti a aussi été assassiné pour les mêmes raisons.
Tous deux étaient membres du Parti du peuple pakistanais (PPP), au pouvoir. Homme d’affaires, politicien, Taseer était connu pour ses opinions libérales en matière de mœurs et son combat contre l’intolérance religieuse. Il était devenu une bête noire des islamistes alors que l’abolition de la loi anti-blasphème est exigée par les milieux progressistes du Pakistan. Shahbaz avait récemment révélé qu’il se sentait menacé pour avoir dénoncé les discriminations dont sont victimes les plus faibles et pour avoir défendu les victimes de la loi contre le blasphème.
Les conservateurs ont mobilisé en masse pour que le blasphème reste passible de la peine de mort, organisant notamment une grève dans les centres urbains le 31 décembre 2010. Aujourd’hui, les religieux fanatiques saluent l’attentat du 4 janvier, criant victoire sur Internet et présentant le policier meurtrier, Mumtaz Qadri, comme un véritable héros de l’islam. Le 9 janvier encore, une manifestation a réuni près de 50.000 personnes à Karachi en défense de la loi. Il s’agit en fait pour les conservateurs de faire pression sur un régime politiquement affaibli, car ils ont déjà obtenu gain de cause sur la question du blasphème. Le Premier Ministre Youssouf Raza Gilani a en effet déclaré que son gouvernement n’avait pas l’intention d’abolir ni d’amender la loi.
Les conséquences de la criminalisation du blasphème sont pourtant particulièrement graves: spirales de violences sectaires, persécution des minorités religieuses (chrétiennes, hindoues mais aussi musulmanes), justification des pires extrémismes religieux, multiplication des règlements de comptes personnels…
Les opposants à cette loi mortifère se retrouvent aujourd’hui sans grande protection. Les assassinats de Salman Taseer et de Shabbaz Bhatti montrent en effet à quel point les rouages de l’État sont infiltrés par les courants islamistes. Le message est clair: personne n’est à l’abri, même les puissants; quiconque remet en cause la loi risque la mort selon une logique implacable: qui la critique commet déjà un blasphème, considéré crime capital. En ces temps meurtriers, les progressistes pakistanais méritent plus que jamais notre solidarité.