Comme on pouvait s’y attendre, les élections néerlandaises du 15 mars ont montré un glissement à droite, mais d’une manière un peu différente de ce qui était prévu...
La crainte que le PVV (Parti pour la liberté) d’extrême droite de Geert Wilders ne devienne le plus grand parti n’est pas devenue réalité. Il est passé de 15 à 20 sièges sur 150, mais avec 33 sièges, le VVD (Parti populaire pour la liberté et la démocratie) du Premier ministre en exercice Mark Rutte, reste le plus grand parti. Par ailleurs, un nouveau parti d’extrême droite (Forum pour la Démocratie) est entré au Parlement avec deux sièges. Et les deux partis de centre-droit traditionnels, le VVD et le CDA chrétien-démocrate, ont mené des campagnes fortement basées sur le nationalisme, l’islamophobie et les sentiments anti-migrants. Même hors du gouvernement, le PVV est donc toujours plus influent : en provoquant un conflit diplomatique avec la Turquie, Mark Rutte a réussi à concurrencer le PVV en se présentant comme un leader occidental fort s’opposant à un pays musulman.
L’événement le plus remarquable a été l’implosion du PvdA de centre-gauche (Parti travailliste) qui subit la plus grande perte électorale dans l’histoire politique hollandaise en tombant de 38 à 9 sièges. Après les élections de 2012, il a formé une coalition gouvernementale avec le VVD et a mis en œuvre pendant quatre ans des politiques de droite. Qu’il soit sanctionné pour cela était à prévoir. Plus inquiétant est que le reste de la gauche n’a pas profité de son implosion. Beaucoup d’anciens électeurs du PvdA se sont tournés vers les partis de droite ou n’ont pas voté du tout.
Nouveaux partis, nouvelles questions
Pour de nombreux progressistes, la croissance de GroenLinks (GL, Gauche Verte) de 4 à 14 sièges a été un rayon de lumière. Son jeune porte-parole Jesse Klaver a mené une campagne attrayante avec un style optimiste, et a mis en avant des axes politiques tels que le changement climatique, l’antiracisme et le rejet du nationalisme. Formé dans les années 1990 par la fusion de différents partis de gauche, GL a connu un cours dit « libéral progressiste », soutenant en 2012 une coalition de droite. Cette orientation ayant été sanctionnée lors des élections suivantes, GL a de nouveau adopté un profil de gauche, mais n’a pas clairement dit adieu à l’orientation antérieure. Parallèlement, le Parti socialiste (SP, venant du maoïsme) perd de nouveau des voix et passe de 15 à 14 sièges. Pendant 15 ans, sa stratégie visait à capter la base du PvdA, mais elle a échoué lors des derniers scrutins. La campagne du SP a tenté de faire de la santé une question centrale, mais n’a pas réussi à l’imposer. De son côté, GL a réussi à attirer de nombreux électeurs du PvdA déçus, et les a séduits avec des thèmes qui sont négligés par le SP.
Ainsi l’antiracisme fait partie de l’attraction de GL en particulier pour les jeunes, alors que des figures éminentes du SP ont parfois accompagné des sentiments anti-immigration, lui coûtant des voix. D’autres partis antiracistes ont gagné des voix comme Denk (« Pensez »), fondé par deux anciens parlementaires d’origine turque du PvdA, qui a remporté trois sièges. Le Parti pour les Animaux (PvdD) est aussi passé de 2 à 5 sièges avec un profil idéaliste et écologique. Quant au parti « D66 », un des grands vainqueurs du scrutin en progressant de 12 à 19 sièges, il est parfois considéré comme « progressiste » avec un féminisme libéral et une rhétorique antiraciste... mais il soutient fermement les politiques économiques néolibérales.
Le pouvoir néolibéral reconfiguré, une alternative à construire
La formation d’une nouvelle coalition dans ce paysage fragmenté sera difficile : au moins quatre partis différents sont nécessaires pour former une coalition majoritaire. Mais quelle que soit sa composition, le nouveau gouvernement des Pays-Bas donnera plus de pouvoir aux grandes entreprises. L’inégalité sociale et la précarité augmenteront, combinées avec des politiques anti-réfugiés et anti-immigrés, et un climat politique islamophobe et nationaliste. La droite et l’extrême droite bénéficieront de cette dynamique.
Malgré les progrès de certains d’entre eux, aucun parti de gauche n’a de réponse adéquate à cette situation. Le SP pense que le racisme peut être ignoré, et GroenLinks n’a pas renoncé clairement à son libéralisme économique antérieur. Il manque aussi des racines sociales et des liens qu’a le SP avec les syndicalistes. Compte tenu du déclin de la gauche parlementaire, les luttes sociales deviendront encore plus décisives. Le potentiel de tels mouvements a été démontré au cours de ces derniers mois dans les mobilisations autour du changement climatique, du racisme et du TTIP, le traité transatlantique. La Marche des femmes à Amsterdam du 11 mars a été l’une des plus grandes manifestations de ces dernières années, avec plus de 15 000 personnes. Combiné à la construction de tels mouvements, la gauche hollandaise a besoin d’urgence d’un processus de discussion collective et de clarification politique.
D’Amsterdam, Alex de Jong
(traduit par Laurent Duvin)