Publié le Jeudi 26 janvier 2023 à 09h00.

Pérou : la mobilisation populaire ne recule pas malgré la répression

« Dina (Boluarte) assassine, le peuple te rejette ». Le jeudi 19 janvier, une foule bruyante a défilé dans les rues de Lima, placée sous état d’urgence, à partir de midi jusque tard dans la nuit, poussant ce slogan et saffrontant avec la police massivement déployée dans le centre ville.

C’était « la toma de Lima » (la prise de Lima), la marche de milliers de personnes arrivées de différentes régions du Pérou (en particulier des Andes du nord et du sud) pour intensifier et élargir la contestation dans le centre politique et économique du pays et réaliser leur jonction avec les habitants de la capitale où se concentre le tiers de la population du Pérou. Ils et elles ont séjourné dans des universités, dans les locaux d’organisations sociales et chez des proches. Il n’y a pas eu de direction unifiée, les différents groupes ont pris des chemins séparés, et la foule s’est éparpillée dans différentes rues du centre de Lima. Ce jour-là, la CGT péruvienne avait convoqué une grève nationale de solidarité.

Répression sauvage

Une révolte populaire partie du sud du Pérou, de marches massives, de coupures de routes, s’est étendue dans de nombreuses régions du pays suite à la destitution du président Pedro Castillo par le Congrès péruvien et son emprisonnement le 7 décembre dernier et à l’investiture à la présidence de la vice-présidente Dina Boluarte1. Face aux demandes des mobilisations populaires, la réponse du gouvernement a été la répression la plus sauvage. Aujourd’hui, on déplore plus de 50 mortEs par balle par la police ou les forces armées, des centaines de blesséEs (beaucoup par armes à feu), de multiples arrestations ! Les manifestantEs exigent la démission de la présidente, la dissolution du congrès, à majorité de droite, l’organisation immédiate de nouvelles élections et un référendum pour une Assemblée constituante pour une nouvelle constitution. Dans une récente enquête d’opinion, 88% des péruviens rejettent ce congrès corrompu.

Dans les médias majoritairement aux mains de l’oligarchie économique et politique, politiciens, ex-militaires, analystes se sont déchaînés, criminalisant la protestation, lançant les « terruqueo » (fausse accusation de terrorisme). Les déclarations accusatrices gouvernementales, l’offensive médiatique amplifiant et martelant ces déclarations, la stratégie visant à tuer pour démobiliser et diminuer l’intensité de la réponse sociale et populaire n’ont pourtant pas réussi.

Nouvelle marche le 24 janvier

Depuis le jeudi 19 janvier les mobilisations n’ont pas cessé dans les principales villes du pays… Les coupures de route continuent. Les étudiantEs ayant accueilli dans leurs résidences les marcheurs de province ont vu la plus vieille université péruvienne, celle de San Marcos, massivement envahie par la police faisant 200 détenus emprisonnés, traités comme des délinquants…Aujourd’hui les étudiantEs ont été libérés mais ils s’apprêtent à accueillir un rassemblement national d’étudiantEs à Lima qui sera reçu par l’ Université nationale d’ingénierie. Enfin une nouvelle « marche sur Lima » est convoquée pour mardi 24 janvier

Pour le militant de gauche Hernando Cevallos2 qui a participé à cette marche : « C’est un véritable mouvement social, les gens veulent être entendus et ils ne le sont pas. Les mobilisations sont massives. Les gens se sentent complètement abandonnés. Les mobilisations ont des leaders régionaux. Cela nous montre aussi que le camp populaire doit améliorer son organisation, mieux centraliser son leadership3 ». Pour Svetia Fernandez, de l’ Assemblée régionale des peuples de Tacna, région frontière avec le Chili : « C’est un moment historique où les classes populaires les plus opprimées, qui ont été reléguées pendant de nombreuses années, manifestent après tous les outrages qui ont été commis au cours de l’histoire4 ».

Pour expliquer la massivité de la protestation populaire, la correspondante du journal Le Monde au Pérou, Amanda Chaparro, précise que « le retour de la faim fait partie des causes du mouvement de contestation massif qui soulève le pays5 ».

Dans cette conjoncture, Hernando Cevallos, analyse ce que sont les objectifs du camp de l’oligarchie : « Les secteurs qui représentent les groupes de pouvoir savent que sils perdent ce bras de fer face aux protestations populaires, au-delà du sort de Dina Boluarte, ce qui est en jeu ce sont des changements fondamentaux et structuraux []. Il y a un vrai plan politique, mettre en place un régime policier, un régime dictatorial avec des caractéristiques populistes » (3). Il constate qu’en face, l’expérience de ces 2 mois montre combien « le désir de changement » est profond et souligne « la clarté avec laquelle notre peuple identifie les ennemis de classe, les groupes de pouvoir, la nécessité de lutter pour des changements profonds sont plus vivants que jamais. La droite na pas été capable de tuer cela. La gauche a le défi d’ajuster son programme à ce que veut le peuple []6 ».

  • 1. L’ Anticapitaliste n° 645 19 janvier 2023.
  • 2. Hernando Cevallos, médecin de 66 ans, syndicaliste, non membre du PL (Perú libre). C’est un militant de gauche de longue date, élu du « Frente amplio » (gauche). Il a été le premier ministre de la Santé de Pedro Castillo, remplacé au bout de 6 mois.
  • 3. Interview de Hernando Cevallos par Carlos Noriega dans le quotidien argentin Pàgina 12, traduction dans À l’encontre, 21 janvier 2023. https://alencontre.org/a…
  • 4. Article de Carlos Noriega, « Pérou. Quand la majorité populaire, indigène, est qualifiée de terroriste et est réprimée », Pàgina 12, traduction dans À l’encontre, 20 janvier 2023. https://alencontre.org/a…
  • 5. Amanda Chaparro, « Au Pérou, la moitié de la population en état d’insécurité alimentaire », Le Monde, 21 janvier 2023.
  • 6. Interview de Hernando Cevallos par Carlos Noriega dans le quotidien argentin Pàgina 12, traduction dans À l’encontre, 21 janvier 2023. https://alencontre.org/a…