Depuis le 24 décembre, le peuple péruvien se mobilise à Lima, Arequipa, Ayacucho et d’autres villes au Pérou, ainsi qu’à l’étranger, contre la grâce présidentielle accordée à Alberto Fujimori par le président Pedro Pablo Kucsynski.
Alberto Fujimori, ancien président du Pérou, a été condamné à 25 ans de détention après avoir été reconnu coupable de crimes contre l’humanité. Prétextant le combat contre la guérilla du Sentier lumineux, Fujimori, avec le soutien des Forces armées péruviennes, a lancé une campagne de terreur, torture, assassinat et disparition de milliers de militants politiques. Il a aussi été responsable de la stérilisation massive et forcée de milliers de femmes indigènes, paysannes et des secteurs les plus précaires de la société.
Manœuvre sans principes
Cette grâce est le fruit d’une négociation entre le président Kucsynski et le parti d’Alberto Fujimori. Ce parti, majoritaire au Parlement, avait revendiqué la destitution du président en raison des accusations de corruption dans le scandale des pots-de-vin accordés par l’entreprise brésilienne Odebrecht à son entreprise quand il était ministre de l’Économie du président Toledo. Au cours d’une manœuvre sans principes, Kenji Fujimori, fils de l’ancien président, a négocié la liberté de son père en échange de l’abstention de dix parlementaires de son parti. Grâce à cet accord, Kucsynski a pu rester au pouvoir.
Lors des dernières élections présidentielles, Keiko Fujimori, fille d’Alberto et candidate, avait promis de libérer son père si elle était élue. À cause de cette promesse, son adversaire Kucsynski avait obtenu les voix d’un large secteur de la population qui ne voulait plus de Fujimori.
Même s’il s’attendait à une réaction indignée de la part de la population, Kucsynksi n’avait pas prévu l’ampleur de la crise politique que sa décision ouvrirait.
Une crise aux conséquences imprévisibles
La rue s’est mobilisée dès l’annonce de la grâce. Il y a eu des mobilisations le jour de Noël, appelées par des syndicats de Puno, Chiclayo, Trujillo, Chimbote, Piura, Arequipa, Puno y Tacna, et la Fédération des travailleurs du Cusco a décrété en assemblée le lancement d’un plan de mobilisation jusqu’à ce que Fujimori retourne en prison.
La manœuvre politique répugnante du pouvoir a ouvert une crise aux conséquences imprévisibles dans le gouvernement, dans le parti de Kucsynski et dans celui de Fujimori. Trois des dix-huit députés du parti du président ont démissionné, mais aussi deux ministres et une vingtaine de hauts fonctionnaires. Le directeur général des droits humains au ministère de la Justice, Roger Rodríguez a démissionné en dénonçant le pardon accordé à Fujimori comme « honteux ».
La division dans le parti de l’ex-président est profonde. Keiko et Kenji, frère et sœur, se disputent le pouvoir. Elle, qui contrôlait le parti et avait lancé la procédure de destitution, sort très fragilisée de ce procès. Lui et son père, qui est prêt à reprendre la direction de son mouvement, vont se battre contre elle pour l’appareil « fujimoriste ».
Une mobilisation qui se poursuit
La Cour internationale des droits humains de l’Organisation des États américains (OEA) vient de rappeler que, d’après les conventions internationales, les condamnés pour crimes contre l’humanité n’ont pas le droit à l’amnistie. En réponse, le président péruvien a dit qu’il n’appliquerait pas une éventuelle décision de nullité de la Cour concernant cette grâce.
Plus de 60 % de la population ne croit pas qu’il s’agisse d’une question de « charité » envers un détenu malade, mais d’une négociation entre appareils politiques corrompus. C’est pour cette raison que la mobilisation se poursuit. Le peuple péruvien sait que la seule façon de faire annuler cette grâce est la résistance ouvrière et populaire, tel que l’a démontré le mouvement pour les droits humains en Argentine au début des années 2000, en faisant annuler l’amnistie des tortionnaires de la dictature militaire.
Comme ailleurs, à Paris, il y a eu plusieurs mobilisations contre le pardon à Fujimori, la dernière en date le samedi 13 décembre. Le NPA est solidaire et partie prenante de cette lutte.
Virginia de la Siega