Samedi 7 janvier, des dizaines de milliers de Kurdes ont manifesté à Paris lors de la commémoration de l’assassinat de Sakine, Rojbin et Leyla le 9 janvier 2013, rue La Fayette dans le 10e arrondissement.
Cette manifestation annuelle s’est déroulée alors qu’un autre massacre venait d’avoir lieu le 23 décembre devant le Centre démocratique kurde (CDKF), rue d’Enghien. Trois nouvelles victimes, un jeune musicien réfugié politique, une dirigeante du mouvement des femmes kurdes et un paisible retraité.
Vérité et justice en attente depuis 10 ans
Les Kurdes réclament la vérité et la justice car, déjà dans le cas des assassinats du 9 janvier 2013, elle n’a jamais été faite : le présumé coupable, Ömer Güney, atteint d’une tumeur du cerveau incurable, est mort en prison, un mois avant son procès, tous les documents écrits et audio prouvant son appartenance aux services secrets turcs, le MIT, ont été immédiatement classés « secret défense » par le gouvernement français, et sont devenus inaccessibles. La question est de savoir en quoi l’implication du MIT dans ces assassinats menace la sécurité de la France…
Les Kurdes craignent fort que l’attentat du 23 décembre soit tout autant étouffé. On peut pourtant émettre des doutes sur les motivations du principal suspect. La version de l’individu raciste s’attaquant aux étrangerEs, aux migrantEs comme il l’avait déjà fait récemment, devient douteuse quand on sait qu’à l’heure de l’attaque devait se tenir une importante réunion du mouvement des femmes kurdes, avec de nombreuses participantes, qui avait par chance été décalée d’une heure.
Les Kurdes ne croient pas à cette version du crime raciste et sont persuadés que, comme pour Rojbin, Sakine et Leyla, la main de la Turquie est derrière.
Comme l’explique Agit Polat, porte-parole du CDKF, « on se fait tuer et emprisonner en Turquie, bombarder et gazer avec des armes chimiques interdites en Irak, bombarder et cibler par des drones en Syrie, sans que personne ne réagisse, et même en France, nous ne sommes pas en sécurité ».
La Turquie a les mains libres
Les menaces d’invasion turque dans le nord-est de la Syrie restent bien réelles, même si elles ont été retardées par un veto russe et une faible opposition étatsunienne. D’autant que les élections législatives et présidentielle, prévues pour juin 2023, approchent à grands pas et que la colère gronde en Turquie avec une population qui subit une inflation à plus de 100 % sur les produits de base et une monnaie qui s’est effondrée.
Les seuls « succès » d’Erdogan sont dans son rôle d’intermédiaire dans la crise ukrainienne et dans son chantage sur la question des réfugiéEs. Fort du soutien de l’Europe, il peut donc continuer à jouer sur le nationalisme turc et se vanter d’avoir les mains libres en Irak et en Syrie. L’absence totale de réaction de la France et de l’Europe en général face à ces invasions à répétition interroge.
Le nettoyage ethnique de la province kurde syrienne d’Afrin bat son plein, ainsi que celui des autres régions envahies par la Turquie, comme celles de Serekanye et Tall Abyad. Les bombes pleuvent sur les villages autour de Kobané, prochaine cible prévue dans les discours d’Erdogan. Bien entendu, dans les régions occupées ou déstabilisées par la Turquie, on assiste à une résurgence marquée de Daesh.
Il est urgent d’exiger la protection des Kurdes en France, ce qui passe par la sécurité de leurs associations, il est urgent de sortir le PKK de la liste des organisations terroristes et d’enfin reconnaître son rôle majeur dans la défaite de Daesh en Syrie, il est urgent de lever le secret défense sur les assassinats perpétrés en France. Pour cela, bien sûr il faudra tenir tête au président Erdogan.