En situation de guerre, la solidarité populaire joue un rôle essentiel pour secourir les populations sinistrées et renforcer les liens intercommunautaires face au fondamentalisme religieux, comme à Mindanao.
Le siège de Marawi a commencé le 23 mai dernier. Cinq semaines plus tard, l’armée gouvernementale n’a toujours pas réussi à reprendre le contrôle de cette cité, symbolisant l’histoire des musulmans philippins (les moros). Le nombre des « personnes déplacées » dépasse aujourd’hui les 350 000, dont seulement 5 % ont trouvé place dans des refuges officiels. Les autres sont accueillis par des proches, ou se débrouillent comme ils peuvent.
Des populations en danger
Un premier constat s’impose : l’aide officielle aux réfugiéEs est totalement insuffisante. Les réseaux populaires de solidarités peuvent, grâce à leur implantation « de terrain », porter secours aux victimes, même dispersées. Grâce à leur expérience, ils peuvent aussi offrir une assistance multiforme : matérielle (nourriture, besoins quotidiens), mais aussi paramédicale, psychologique, « ludique » (faire jouer les enfants…) et contribuer à reconstituer des collectifs pour combattre l’isolement (cuisine collective...).
Second constat, ces réseaux d’aide ont aussi un rôle de protection. Les victimes d’une crise humanitaire sont exposées au harcèlement physique (notamment à l’encontre des femmes) et psychologique (pressions multiples…). C’est en particulier vrai quand la loi martiale a été imposée, comme aujourd’hui à Mindanao. Le cadre juridique du régime de loi martiale importe peu : en pratique, elle signifie les pleins pouvoirs à l’armée, du moins c’est ce qu’elle laisse croire au commun des mortels, dans un pays où la culture de l’impunité atteint des sommets (sept ou huit mille exécutions extrajudiciaires commises en un an au nom de la lutte contre la drogue).
Non seulement les réseaux de solidarité expliquent aux gens qu’ils gardent des droits, même en temps de loi martiale, mais ils doivent aussi protéger les témoins de violations de droits humains exercées par les forces de l’ordre. Une tâche dangereuse.
Enfin, le danger est grand de voir le rejet et la peur l’emporter entre les communautés religieuses. La question de la souveraineté territoriale entre moros, lumads (tribus montagnardes) et descendants des « colons » chrétiens venus du centre et du nord de l’archipel, n’a jamais été résolue, d’où une longue histoire de conflits militaires. La nouveauté, c’est l’apparition d’un courant salafiste qui se réclame de l’État islamique. Le clan Maute a occupé Marawi où il a multiplié les meurtres et exactions contre les chrétiens (composant 5 % de la population de la ville). La création d’un califat passe, à ses yeux, par l’épuration ethnicoreligieuse.
L’aide internationale, un contrepoison
La solidarité est le plus efficace des contrepoisons. À Marawi, des musulmans ont caché au péril de leur vie des chrétiens, leur ont fourni des vêtements appropriés et leur ont appris à crier « Allah est grand » avec l’accent adéquat pour pouvoir leur faire franchir les contrôles fondamentalistes...
Dans les provinces de Lanao, une grande partie des secours populaires sont fournis aux victimes musulmanes par des membres de communautés chrétiennes, qui ont appris pour ce faire à cuisiner halal. Comme nous l’a fait savoir un camarade de Mindanao, l’aide internationale que nous pouvons apporter contribue aussi à opposer aux projets sectaires une culture de la solidarité intercommunautaire. Les réseaux populaires ont besoin pour agir dans des conditions dramatiques et dangereuses d’importantes ressources financières. De plus, l’aide internationale provient de pays aussi variés que la France ou le Japon. Elle constitue ainsi un contrepoison culturel, humanitaire et politique, face à la volonté des tenants de l’État islamique de diviser le monde sur une ligne de fracture fondamentaliste.
Il nous importe de renforcer cette aide grâce notamment à la campagne de solidarité menée par l’association Europe solidaire sans frontières (ESSF) et Cedetim/Ipam.
Pierre Rousset