Publié le Lundi 8 septembre 2025 à 14h09.

Kanaky. « La stratégie de l’État, c’est de revenir sur l’accord de Nouméa. Bougival, c’est juste un habillage. »

 

Entretien avec Christian Tein, président du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), réalisé pendant l’université d’été du NPA

Christian, bonjour. Merci avant tout de bien vouloir nous répondre et de discuter avec le NPA-L’Anticapitaliste. Est-ce que tu peux revenir sur la situation depuis mai 2024, qui t’a amené, entre autres, en France et en prison ?

Bonjour à tous les militants, à tous les responsables du NPA. Avant tout, merci pour l’espace que vous me réservez aujourd’hui ici dans ce rassemblement des militants. Je suis très heureux de passer ces journées avec vous.

Depuis qu’on a mis en place la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), avec le congrès de l’Union calédonienne et le FLNKS, on a répété qu’il fallait travailler sur un accord dans lequel on devait trouver tous les fondamentaux de l’accord de Nouméa. Malheureusement, depuis pratiquement deux ans, le gouvernement de M. Attal, sous la responsabilité de M. Macron, a décidé que nous subirions un calendrier à marche forcée. On a donc mené une campagne d’information, avec de nombreuses tournées sur le terrain, en Kanaky et en métropole, pour alerter sur ce passage en force, en particulier sur le dégel du corps électoral. On a organisé de grandes mobilisations pacifiques sur l’ensemble du territoire. On a conscientisé les populations, on a pu mobiliser même au-delà des populations kanak : des Calédoniens de toutes les communautés, métropolitains, Javanais, Caldoches… On a pu les sensibiliser à « comment faire pays, faire peuple ensemble ». Malheureusement, on a systématiquement trouvé porte close à Paris, malgré toutes nos alertes.

On est restés pacifiques. Je le dis souvent, les mobilisations de la CCAT ont toujours été pacifiques. Malheureusement, l’État français a fait la sourde oreille en voulant imposer le dégel du corps électoral. La jeunesse des quartiers nord qui a toujours été marginalisée ces 30 dernières années, a une fois de plus subi la répression policière c’est ce qui a déclenché le soulèvement sociale et politique dans notre pays dans la nuit du 12 au 13 mai 2024. on le regrette, parce qu’on n’a pas fait tout ce chemin pour ce résultat. Nous qui avons organisé les mobilisations pacifiques, on s’est bien rendu compte que ce calendrier à marche forcée offre très peu de perspectives à cette jeunesse kanak et océanienne. Il s’agit des hommes et des femmes qui n’ont pas bénéficié des avantages et opportunités qu’offrent l’ADN, le dégel du corp électoral leur infligerait une injustice supplémentaire.

Pour la dimension judiciaire, l’État avait besoin de trouver un bouc émissaire pour tout ce qui s’est passé, j’en ai fait les frais, avec les autres responsables de la Cellule de coordination des actions de terrain qui est maintenant liée au FLNKS en tant qu’outil de terrain. , je me suis retrouvé en garde à vue pendant plus de 96 heures. Le procureur a décidé de nous envoyer à Paris. Il y avait un Airbus qui était déjà préparé depuis 15 jours, il y avait vraiment une stratégie de me faire monter dans un avion, pour m’envoyer loin de la Kanaky.

J’ai toujours contesté les charges qui me sont reprochées, j’ai toujours fait un travail pacifique, j’ai informé les gens. C’est uniquement sur la base des vidéos de mes meetings que le procureur a constitué ces charges. Mais vous pouvez reprendre toutes ces vidéos, jamais, à aucun moment, je n’ai appelé à casser, à brûler, à incendier, à mettre la vie des gens en danger ou à mettre à mal l’économie de notre pays.

Nous avons subi une humiliation. Au 21e siècle, la France utilise encore de vieilles pratiques coloniales pour réprimer : Exiler des hommes et des femmes loin de leur famille et de leur pays, menottés pendant plus de 48 heures puis éparpillés et isolés dans les différentes prisons de France. Je suis resté en isolement à la prison de Lutterbach, pendant un an, une situation difficile, par décision politique. Cette situation nous a amenés à demander, avec nos avocats, le dépaysement de nos dossiers à Paris. A présent nos dossiers judiciaires respirent mieux. Nous sommes actuellement en liberté provisoire, nous pouvons circuler dans l’hexagone. Il nous est interdit de rentrer au pays et de rentrer en contact entre nous. C’est déjà bien d’avoir un pied dehors, bien que ce ne soit pas encore la liberté nous pouvons rencontrer les gens et continuer à parler de notre lutte. Merci encore au NPA de m’avoir invité à cet espace où je peux m’exprimer et faire connaitre le combat du peuple kanak.

Est-ce que tu peux revenir sur votre analyse de ce que le gouvernement de Macron, même si c’est Bayrou, a tenté de faire avec les accords, les dits « accords » de Bougival ? Est-ce que tu peux nous présenter l’analyse du FLNKS, dont tu as été élu président au dernier congrès, alors que tu étais en prison ?

J’ai effectivement hérité de la présidence du Front quand j’étais emprisonné à Lutterbach. J’ai décidé de reprendre mon bâton de pèlerin et de faire le tour de la France pour expliquer au peuple français les choix qui sont malheureusement prises en leur nom par le gouvernement français. Il est indispensable que le peuple français veille à ce que son gouvernement respecte ses engagements.

Cet engagement pour nous, c’est l’accord de Nouméa. Pour nous c’est le niveau de protection minimal auquel on est parvenu. Je rappelle quand même qu’on a inscrit cet accord dans la Constitution de la France ce n’est pas rien ! Pour nous, c’est le meilleur filet de protection, on ne peut pas descendre en deçà. Si on doit discuter, nous ne pouvons qu’évoluer vers la pleine souveraineté et achever le processus de décolonisation.

Le problème c’est que toute la stratégie de l’État depuis quelque temps, est de remettre en cause l’accord de Nouméa en ne respectant plus leur engagement. L’accord de Bougival, je le dis, c’est juste un habillage. Les décisions étaient prises depuis un bon moment déjà, c’était préparé, orchestré, millimétré. Bougival n’était qu’une mise en scène. Le FLNKS a rejeté l’accord de Bougival lors de notre 45ème congrès le 06 aout dernier parce qu’on a considéré que les fondamentaux dans lesquels le peuple kanak et le FLNKS se sont inscrits ne sont pas respectés.

Par exemple, deux peuples ont été consacrés dans l’accord de Nouméa : le peuple français et le peuple kanak, a aucun moment il était question du peuple calédonien.

L’accord de Bougival contient trois verrous quasiment infranchissable pour accéder à la pleine souveraineté :

  • Le rapport de force se trouve modifié par la répartition des sièges au bénéfice de la province sud à dominance loyaliste. Il serait donc impossible d’atteindre les 3/5eme au congrès de la NC pour espérer transférer les compétences régaliennes.

  • L’état doit donner son feu vert après avoir étudié les modalités et les implications du transfert de chaque compétence régalienne

  • et enfin le transfert définitif d’une compétence régalienne sera soumis à un référendum local avec un corp électoral ouvert.

Sur la partie économique, l’ADN garantissait un rééquilibrage sur l’ensemble du pays. On imposait à la province nord et île avec son insularité, de rattraper leur retard économique et sociale en 20 ans. Je rappelle que la ville de Nouméa tout comme paris d’ailleurs ne se sont pas construits en 20 ans. J’espère qu’un jour on saura réellement ce qui s’est passé dans nuit du 12 au 13 mai. Qui a intérêt à ce qu’on sorte du processus de décolonisation voulu par l’ADN ? Le Kanak, quand il donne une parole, il la respecte, c’est un engagement, un des fondements de notre coutume.
Nous ne voulons pas être les derniers Mohicans de la région pacifique. Le peuple kanak souhaite fermer définitivement cette parenthèse coloniale.

Est-ce que tu peux peut-être dire deux mots sur le dégel du corps électoral et l’enjeu qu’il y a autour de cette question-là tout de suite, là, immédiatement ?

Le corps électoral, c’est ce qui a cimenté la paix sociale dans ce pays. Je rappelle qu’Éloi Machoro a été assassiné dans un contexte de contestation du corps électoral de l’époque. Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné ont été assassinés toujours à cause du sujet du corps électoral. Alphonse Dianou, avec les 19 qui ont sombré dans la grotte d’Ouvéa, c’est aussi une contestation sur le sujet du corps électoral. Ce qui s’est passé du 12 au 13 mai, c’est toujours en rapport avec le corps électoral. On a toujours dit que le corp électoral est la mère de toutes les batailles. Nous sommes un tout petit peuple qui tente de s’émanciper dans un contexte colonial, on a donc besoin de maintenir les équilibres au sein de la population de manière à éviter une mise en minorité de la population locale par une immigration massive, avec les conséquences économiques et sociales que l’on connait tous. Il s’agit de maintenir les équilibres pour garantir la paix sociale tant que nous sommes en situation coloniale

Dans l’accord de Bougival, en pratique, on ouvre le corps électoral à des milliers de gens qui vont pouvoir décider du devenir du pays. L’avenir du pays doit être confié, avant tout entre les mains des populations concernées, Il y a plusieurs communautés qui vivent en Kanaky. Je rappelle quand même qu’en 83, Les kanak , seul peuple colonisé, a ouvert son droit à l’autodétermination aux victimes de l’histoire coloniale. Il n’y a pas eu beaucoup de peuple dans le monde qui fait le même choix et nous l’avons pas fait pour se retrouver en minorité dans notre propre pays, nous l’avons fait pour coconstruire notre pays avec ceux qui veulent bien faire peuple avec nous. Voilà pourquoi il faut pérenniser dans le temps l’état d’esprit qui accompagne la protection du corps électoral, parce que nous ne sommes pas à l’abri des mouvements de population qui peuvent anéantir le rêve d’indépendance du peuple kanak. C’est le droit le plus élémentaire d’un peuple colonisé.

Et le gouvernement, il en est où sur cette question-là ?

Dans l’accord de Bougival, on constate qu’il y a une forte ouverture du corps électoral, Il y a encore un relent du racisme dans la province Sud. Des gens, même s’ils comprennent le combat pour l’indépendance, ne peuvent pas admettre un seul instant que nous pouvons gérer notre pays et accéder à la pleine souveraineté.

Et l’échéance autour des élections provinciales ?

Les élections provinciales se tiendront en novembre prochain, M. Macron et M. Lecornu aiment bien dire que les élections doivent se tenir à l’heure. On est D’accord, mais pour cela il faut conserver le corps électoral tel qu’il est. Il n’est jamais bon de forcer les choses, on sait où cela nous a mené. Prenons le temps de discuter, posons les choses, mettons sereinement les bases sur la table de manière à ce qu’on puisse avancer dans le temps. On ne peut pas dire qu’on va faire un accord pour des générations futures, avec une partie de la population, en l’occurrence la population kanak, mis sur le côté. Faire peuple, c’est avant tout considérer tout le monde.

Du coup, aujourd’hui, pour le FLNKS, pour toi, quelles sont les échéances à venir ?

Le FLNKS reste ouvert au dialogue. Une délégation a rencontré dernièrement à deux reprises Mr Valls . Pour le FLNKS, l’accord de Nouméa reste notre référence, il est là, c’est notre filet de protection, ça nous permet d’avancer dans le temps et de faire en sorte qu’il y ait un accord gagnant-gagnant. On ne peut pas avoir un accord où le peuple kanak est isolé du processus dans lequel il s’est engagé, pratiquement depuis 1853, depuis l’installation du drapeau qui a été piqué à Balade, dans le nord de la Nouvelle-Calédonie. Les Kanak ont toujours réclamé sa dignité et son émancipation.

Pour vous, comment les organisations comme le NPA, qui sont en solidarité avec le peuple kanak et sa revendication de reconnaissance de son droit à son autodétermination et à son indépendance, à construire son propre destin, comment nous, d’ici, on peut vous aider ?

L’ouverture d’un espace au sein duquel le FLNKS est invité pour s’exprimer et faire entendre sa voix est déjà très important. Nous espérons que chaque citoyen français dans l’hexagone, quand il rentrera dans sa commune, dans sa région fera circuler et partager les paroles et les messages du combat du peuple Kanak. Je remercie le NPA de nous avoir ouvert cet espace, on sait que notre parole va continuer à circuler dans la France. Le FLNKS va se remettre en lien avec le NPA, pour porter ensemble le travail, faire en sorte qu’on puisse poser un nouvel accord avec l’État français dans la continuité de l’ADN.

Et la solidarité, concrète, matérielle, dont vous pouvez avoir besoin, au sens large ?

On a toujours besoin de soutien quel qu'en soit la nature… matériel, humain, présentiel ou à distance… peu importe l’essentiel est que ce soutien porte ses fruits et des résultats qui satisfait tout le monde.

Quelle est la situation des 5 autres camarades qui sont avec toi et de tous les prisonniers ?

Ils sont ici en France aussi, et comme moi ils n’ont pas la possibilité de retourner au pays. Nous n’avons pas le droit de rentrer en relation. Il y a aussi des prisonniers de droit commun qui ont été transféré contre leur gré pour la plupart, dans les prisons en France. Depuis quelques mois, certains sont libres, d’autres sous control judiciaire, ils doivent se débrouiller pour trouver un logement, un travail, s’organiser pour les démarches administratives…ceux qui sont libres et veulent retourner au pays, doivent le faire par leur propre moyen. L’État prend des décisions et n’ assume pas les impacts. Il faut redonner la dignité à tous ces jeunes et les aider dans les difficultés qu’ils rencontrent… Je lance un appel, à travers le NPA, pour prendre contact avec les organisations qui sont déjà en lien avec les prisonniers ici à l’hexagone afin de subvenir à leurs besoins.

Nous demandons au NPA de nous ouvrir des espaces en France pour qu’on puisse aller à la rencontre des Français et expliquer la situation coloniale de notre pays. Il est important de parler avec le peuple français de nos difficultés, de ce qu’on traverse, de notre projet d’avenir. Parce que pour le moment, l’État parle au nom des Français. Ces rencontres, comme on a fait ici, à Port-Leucate, sont des actions pertinentes et c’est une nécessité. On espère qu’il y aura d’autres formats similaires à ce que nous avons vécu ces derniers jours, pour qu’on puisse continuer à porter les revendications du peuple kanak. L’écho du terrain en France hexagonale nous est essentiel.

Christian Tein
Propos recueillis par Cathy Billard et François Mailloux