Publié le Jeudi 27 août 2020 à 10h11.

Racisme au Portugal : pendant combien de temps allez-vous me dire que je suis un semblable de ceux qui veulent me tuer ?

Publié par Express. « Combien de temps allez-vous m’accuser d’être responsable du racisme dont je suis victime ? Combien de temps vont-ils continuer à dire que je suis un semblable de ceux qui me violent et veulent me tuer ? Combien de temps allez-vous continuer à me demander d’attendre pendant que vous tuez ou menacez de tuer une partie de moi ? Jusqu’à quand ? (...) Ce que j’attends de ceux qui nient ou relativisent le racisme est qu’ils aient, l’intelligence et le courage de tuer le racisme avant qu’il ne nous tue ».

Jusqu’à quand ?

« Si nous devons mourir, mourons noblement,

Afin que notre Précieux Sang ne soit pas versé

En vain. Alors même les monstres que nous défions

Seront contraints de nous honorer même morts ! »

Claude McKay1

Ces dernières années, des milliers de plaintes pour discrimination raciale ont été déposées auprès des organismes compétent, la Commission pour l’égalité et contre la discrimination raciale. Des centaines de cas de racisme ont donné lieu à des plaintes devant les tribunaux. Quelques dizaines de ces cas ont même déclenché un énorme débat public dans le pays. Je ne rappellerai que quelques - uns d’entre eux.

En février 2015, des dizaines de policiers ont torturé six citoyens noirs au poste de police d’Alfragide (banlieue de Lisbonne, NDLR) et, pendant qu’ils les agressaient et torturaient, ils ont ont proféré des insultes racistes contre les victimes.

En février 2107, la communauté gitane de Santo Aleixo Da Restaura, dans la municipalité de Moura (au sud-est de Lisbonne, près de la frontière espagnole, NDLR), a été la cible de menaces de mort peintes avec des croix gammées sur les murs du village, d’incendies criminels qui n’ont pas épargné les maisons, les animaux, les voitures et même le bâtiment de l’église où les familles pratiquaient leur culte. Dans le style des pogroms nazis.

Au cours du même mois de février 2017, une controverse sur la ségrégation scolaire a éclaté à propos de l’existence d’une école à Famaliāo dans laquelle les élèves étaient tous Roms.

En juillet 2017, le président du conseil paroissial de Cabeça Gorda, dans le comté de Beja, a refusé l’enterrement et la tenue de la veille mortuaire d’un membre de la communauté gitane.

En janvier 2018, un groupe de pères et de mères d’enfants de 4e année de l’école primaire Major David Neto, à Portimão, dénonce les mauvais traitements, le racisme, la xénophobie et la discrimination envers les élèves dans cette école

En 2018, la nuit de la Saint-Jean, Nicol Quinayas a été agressé par la sécurité d’un bus de transport public à Porto. La victime et ceux qui l’accompagnaient ont rapporté des insultes racistes. Il y eut aussi cette année un grand débat dans la société portugaise à l’époque.

En janvier 2019, la famille Coxi, vivant dans le quartier de la vallée de Chicharos, communément connu sous le nom de Jamaïque, a été sauvagement agressée par des agents de la police.

En décembre 2019, l’étudiant Cap-Verdien Luis Giovani Rodrigues a été battu à mort à Braganza. Les détails de cette agression et de sa mort ont été cachés pendant près d’une semaine.

En janvier 2020, Cláudia Simões a été agressée par l’agent Carlos Canha à un arrêt de bus à Amadora et dans la voiture qui l’a conduite au poste de police, parce que sa fille de huit ans n’avait pas de laissez-passer avec elle.

En février 2020, Moussa Marega a été la cible de cris racistes continus de partisans de Guimarães. Après avoir, seul, fait face aux insultes seul, il a quitté le terrain dans un énorme geste de courage.

En juin 2020, Evaristo Martinho a prémédité le meurtre de l’acteur noir Bruno Candé Marques, en plein jour dans une rue de Moscavide, après trois jours d’insultes racistes et de menaces explicites de mort.

L’élection de trois députés noirs, appartenant au mouvement social, et engagés dans la lutte contre le racisme, en même temps que l’élection d’un député ouvertement raciste, a rendu encore plus visible l’expression du racisme. Le débat est devenu plus violent, avec le déclenchement d’un torrent de haine dans l’espace public, à travers les réseaux sociaux, les médias et les instances politiques. Alors que l’escalade s’intensifiait, le racisme ordinaire trouva en ce député raciste la caisse de résonance de manifestations jusqu’ici clandestines.

Ces attaques racistes de l’extrême droite ont encore augmenté à partir du mois de juin dans l’espace public. Des peintures murales pleines de slogans racistes sont apparues dans l’agglomération de Lisbonne, avec des menaces explicites de violence et de mort.

Cette escalade a abouti à l’attaque du siège de SOS, à un défilé du Ku klux klan et à des menaces de mort contre des militants et des élus. Incitations manifestes à la haine et à la violence, ces dernières menaces débordent déjà toutes les lignes rouges du conflit politique. C’est la conséquence naturelle de l’escalade raciste conduite par le député d’extrême droite André Ventura qui a donné une légitimité à l’action terroriste des groupes néonazis.

La légèreté avec laquelle les partis parlementaires ont traité le comportement raciste d’André Ventura, que ce soit par tactique politique, par indifférence ou adhésion, a créé les conditions pour une affirmation sans crainte du racisme dans l’espace public. André Ventura, qui a installé le discours raciste de la rue à l’Assemblée de la République, et tous ceux qui, par omission, adhésion ou silence choisissent de ne pas s’y confronter sont responsables des explosions terroristes de l’extrême droite. Les mercenaires financiers de l’élite économique du pays qui financent ces projets meurtriers pour la démocratie devront répondre du malheur que la montée du fascisme et du racisme apporteront.

Il devient impossible de laisser la question du racisme sous le tapis

La succession d’attaques violentes racistes a contribué à lever le voile sur la nature structurelle du racisme dans la société portugaise. Le déni et l’absence de discussions sur son existence et ses conséquences parfois tragiques, comme ce fut le cas récemment avec le meurtre de l’acteur Bruno Candé Marques, ne sont plus tenables.

Nier le racisme ou relativiser son ampleur et ses conséquences dans la vie de milliers de nos concitoyens, ce n’est pas assumer la responsabilité de défendre la démocratie, et c’est se rendre collectivement complice de la menace qui pèse sur elle. Il n’existe pas de projet de vie collective ou de société démocratique viable dans laquelle une partie de ses membres est systématiquement violée et rejetée hors du tissu national. Malheureusement, face à toutes ces preuves, il y a encore ceux qui continuent de montrer leur médiocrité éthique extraordinaire et leur malhonnêteté politique déconcertante, en assimilant façon systématique et hystérique l’antiracisme au racisme.

Est-ce que certaines de ces personnes qui demandent le calme, la retenue, et la sagesse aux victimes du racisme ont été agressées verbalement ou physiquement pour être noires ou gitanes dans l’espace public ? Avez-vous été empêché d’entrer dans un espace public, de louer une maison, d’avoir accès à un emploi ou d’être payé pour le même emploi à moins du tiers du salaire de votre collègue ? Avez-vous été harcelé dans votre vie privée jusqu’à épuisement ? Avez-vous été la cible de chantage ou de persécution ad hominem de façon permanente et systématique ? Avez-vous été pris pour cible par l’extrême droite au milieu de la rue ? Avez-vous été forcé de déménager parce que vous aviez peur pour votre sécurité et celle de votre famille ? Avez-vous dû changer votre téléphone ou votre compte dans un réseau social parce que vous ne pouviez plus supporter de recevoir des insultes et des menaces de toutes sortes, y compris la mort ? Faîtes-vous partie de ces personnes qui ont eu à vivre ces menaces ?

C’est pourquoi, face à l’action terroriste de l’extrême droite, l’exigence de sagesse formulée par ceux qui pensent que parler de racisme c’est l’encourager devient insupportable et témoigne de l’indifférence à la souffrance et à la violence raciste. Les néonazis et les assassins racistes, comme celui qui a tué Bruno Candé Marques, se sont longtemps nourris de cette indifférence et de ce relativisme des discours qui se veulent « sensés » pour ne pas faire face au racisme. Le calme, la retenue et / ou le silence face à la violence raciste sont une complicité qu’aucun démocrate ne peut se permettre. Tant que le jugement moral et éthique sur le racisme n’aura pas le même poids que celui porté sur d’autres violences qui portent atteinte à la dignité humaine, nous continuerons d’avoir une aliénation institutionnelle et peu d’investissements politiques dans la lutte contre le racisme.

Ne me demandez pas calme ou retenue parce que je suis fatigué de ce type de demandes

Pendant combien de temps vont ils m’accuser d’être responsable du racisme dont je suis victime ? Pendant combien de temps vont-ils continuer à dire que je suis un semblable de ceux qui me violent et veulent me tuer ? Combien de temps vont ils me demander d’attendre alors que les racistes tuent ou menacent de tuer ? Jusqu’à quand? Ou bien n’ont-ils pas encore réalisé que toute mort ou menace de mort raciste est une mort de l’idée même des valeurs de l’humanité qu’ils aiment tant proclamer ?

Seule l’acceptation de la mort de l’idée même d’humanité peut conduire une communauté politique à ne pas se sentir menacée de menaces de mort par la haine raciale. Ce que j’attends de ceux qui nient ou relativisent le racisme, c’est qu’ils aient l’intelligence et le courage de tuer le racisme avant qu’il ne nous tue. Pour moi comme pour l’écrasante majorité des personnes racialisées, l’air devient de plus en plus irrespirable et il nous est de plus en insupportable de voir la société et ses institutions se détourner, en sifflant sur le côté, face à notre souffrance et à notre douleur.

Nous avons survécu parce que nous n’avons jamais manqué de courage pour se défaire du racisme qui étouffe nos vies. Nous continuerons à lutter quel qu’en soit le coût. Il reste à voir combien de temps la société et ses institutions continueront à manquer de courage pour faire face au monstre. Soit on tue le monstre, soit il nous tue tous.

C’est pourquoi, si nous voulons un avenir collectif commun, il n’y a qu’un seul choix : défendre la démocratie tant qu’il est encore temps, en affrontant avec détermination la barbarie de l’extrême droite.

Traduction JCL

  • 1. Tiré du poème "If we must die" (Si nous devons mourir) de Festus Claudius "Claude" McKay (1889-1948), écrivain et poète jamaïcain.