Publié le Samedi 29 octobre 2022 à 12h00.

Réunion publique avec le militant chilien Pablo Abufom

Après le rejet de la nouvelle constitution au Chili, quelles sont les perspectives pour le Chili aujourd’hui ? C’est le débat qu’a ouvert Pablo Abufom, membre de l’organisation anticapitaliste « Solidaridad », à l’invitation du NPA, à la librairie La Brèche, le 14 octobre, avec les camarades parisiens et chiliens présents.

«Nous avons subi une défaite et nous devons absolument en comprendre les circonstances et les raisons », précise Pablo Abufom, rappelant que le projet de nouvelle Constitution intégrait des revendications pour lesquelles les organisations populaires ont lutté depuis plus de 30 ans, défaisant ainsi la réalité néolibérale et antidémocratique de la Constitution en vigueur1 et établissant une Constitution extrêmement démocratique et sociale.

Une secousse politique et sociale

Pour certains, ce qui a été rejeté ce n’est pas le projet de Constitution mais la version totalement défigurée et fausse qu’en a donnée la puissante propagande de la bourgeoisie de droite, hégémonique dans les médias. S’il y a une part de réalité dans cette explication, pour Pablo il faut aller plus loin dans l’explication et revenir sur l’ensemble du processus ouvert par la révolte du peuple chilien d’octobre 2019, il y a trois ans.

L’explosivité et la profondeur de cette révolte ont remis en cause le système néolibéral dont le Chili a été l’un des premiers laboratoires. C’est pour cela que les élites chiliennes ont signé, dès le 15 novembre 2019, un « accord pour la paix sociale et une nouvelle Constitution ». Il leur fallait reprendre le contrôle de la situation que la violente répression policière et militaire avait radicalisée, et encadrer le mouvement dans un cadre institutionnel étroit. Cette offensive politique, jointe à la crise du Covid, (très sous-estimée alors) ont contribué à déstabiliser et disloquer un mouvement qui ne n’a pas réussi pas à maintenir ses mobilisations et son auto-organisation.

Certes, la secousse politique et sociale vécue alors s’est réfractée tant dans le référendum en faveur de la rédaction d’une nouvelle Constitution (80 % en faveur en octobre 2020), que dans les résultats pour la Convention constituante, ou le vote d’un million de jeunes et de femmes, abstentionnistes au premier tour de la présidentielle, qui ont permis la victoire au second tour du modéré Boric contre le candidat d’extrême droite Katz.

Une Constitution sans la population ?

Pourtant, insensiblement, la conjoncture a changé. De larges couches du peuple sont contraintes, à cause de l’approfondissement de la crise économique (inflation et chômage), de replonger dans la lutte individuelle pour la survie qui devient alors prioritaire. Le gouvernement Boric, incapable d’adopter les premières mesures pour stopper cette dégringolade des conditions de vie de la majorité, en a subi le discrédit qui s’est aussi porté sur la nouvelle Constitution. Les militantEs du mouvement social, qui avaient pensé mener la bataille constitutionnelle portés et entourés par un mouvement collectif comme celui qui a présidé aux premières semaines de la révolte, concentrés dans la constituante et encore peu nombreux, n’ont été en mesure d’associer à cette bataille constitutionnelle qu’une partie des secteurs populaires. Ainsi, comme le montre le résultat du 4 septembre dernier, cette lutte constitutionnelle n’a pas fait sens pour une grande partie du peuple, parce qu’ils n’y étaient pas associés, parce que les conditions sociales et politiques de la crise ont perduré. Même si elle a fait sens pour les secteurs organisés et mobilisés, pour de larges franges de la population — particulièrement pour les quatre millions qui sont allés voter à cause de l’obligation de le faire — cette nouvelle Constitution a même été ressentie comme déstabilisant les conditions de leur lutte pour la survie en y introduisant un possible désordre, et ils l’ont rejetée.

Des leçons à tirer

Lors de la discussion avec Pablo, un passionnant bilan comparatif des révoltes dans le monde depuis 2011 a suivi, sur les différents niveaux de conscience, sur les rythmes aussi et les discordances des temps dans les différentes expériences. Pour Pablo, il se dégage une première leçon :

« La révolte est la base indispensable mais elle ne suffit pas en soi, Il est nécessaire de construire une médiation qui permette l’articulation avec les luttes politiques et sociales qui suivent. Aujourd’hui, tout en gardant notre indépendance par rapport au gouvernement Boric qui accentue son tournant au centre en cherchant à gouverner avec les néolibéraux de l’ex "Concertation", nous devons nous appuyer sur les secteurs qui sont mobilisés et qui ont des raisons de s’unir. Mon organisation propose la formation d’un front politique des mouvements sociaux qui articule l’archipel d’organisations militantes pour construire une grande alliance. Nous avons besoin de l’expérience de toutes et tous dans le monde et souhaitons avoir des relations officielles avec le NPA. »

  • 1. Pour une analyse plus détaillée du projet de Constitution, lire Karina Nohales et Pablo Abufom, « Chili : vers la Constitution du peuple ? », publié dans Inprecor n° 697/698 (mai-juin-juillet 2022).