Retour sur l’attaque fasciste contre le local de la CGIL (Confédération générale italienne du travail) à Rome, perpétrée le 9 octobre.
Samedi 9 octobre, sur la Piazza del Popolo, lieu historique des manifestations de gauche, se sont rassemblés quelques milliers de manifestants contre le green pass. C’est un mouvement qui manifeste depuis des mois, alimenté par des positions, des réflexions et un imaginaire collectif qui ont peu de choses à voir avec les revendications que l’on entend d’habitude sur cette place. Il s’agit de l’univers vaste et composite « no vax » et de sa lecture une peu particulière de la réalité. Les bases communes de ce mouvement sont que le vaccin est un agent dangereux qui peut entraîner les pires ennuis, une norme antidémocratique et anticonstitutionnelle créée par une vague dictature sanitaire. Et, comme c’est le cas dans d’autres parties du monde, la direction politique et l’organisation de ce mouvement est entre les mains de l’extrême droite. Il est vrai, ceci dit, que le mouvement est divers, complexe, peu politisé et avec des références différentes. Mais l’extrême droite y est hégémonique.
La preuve en est que, peu après, un cortège, important et menaçant, a quitté la place et s’est dirigé vers la Bourse du Travail (Camera del Lavoro), le siège national historique de la CGIL, le syndicat le plus important du pays, symbole du mouvement ouvrier. Des centaines – sinon des milliers – de manifestants bizarres (squadristes de Forza Nuova venus de toute l’Italie, voyous des virages des stades, jeunes des hauts quartiers et des « favelas » de Rome, complotistes de toutes sortes) ont attaqué et dévasté la Bourse du Travail jusqu’au cinquième étage. Les forces de police les ont laissé faire et ne sont pas intervenues, faisant preuve d’un totale complicité avec les assaillants.
Il y a cent ans : les chemises noires
La CGIL n’est plus, depuis longtemps, l’expression de la combativité et de la lutte de la classe ouvrière et sa direction a, depuis des années, une orientation politique de collaboration de classe. Mais elle reste la principale structure du mouvement ouvrier italien elle représente un symbole et une organisation décisive pour la grande majorité des travailleurEs, un patrimoine historique et culturel incontournable, un syndicat qui organise des millions de personnes. L’attaque de son siège national est très grave ; c’est une véritable déclaration de guerre au mouvement ouvrier de la part des bandes fascistes. Les images de samedi dernier rappellent de près celles de l’attaque de Capitol Hill d’il y a quelques mois (peut-être un peu moins folkloriques) mais elles rappellent à de nombreux ItalienEs, avec un frisson dans le dos, l’action des chemises noires de Mussolini, il y a juste cent ans.
Certes, l’histoire ne se répète pas. Les choses sont différentes de ce qui s’est passé en 1919-1922 — les patrons ont peut-être moins besoin des fascistes pour maîtriser un mouvement ouvrier qui ne semble pas très menaçant. Mais le danger existe : le fascisme, ses mythes, ses mensonges, ses hommes, ont été « dédouanés » par des années de propagande des secteurs les plus réactionnaires de la bourgeoisie italienne mais aussi d’un marais intellectuel soucieux de gagner les sympathies et l’accord des grands groupes de pouvoir. L’extrême droite est à la mode en Italie. Elle est à la mode électoralement (avec des sondages très hauts et très préoccupants), et elle est à la mode dans la rue.
Réflexion supplémentaire : il existe, à gauche aussi, des gens qui ont décidé de faire un bout de chemin avec ces secteurs. Une certaine idéologie « no vax » a ouvert une brèche dans des secteurs libertaires, autonomes et dans de petits bouts de l’extrême-gauche ; disons qu’il s’agit d’une version antagoniste, fondée sur une analyse bizarre du projet bourgeois de répression. Peut-être alimentée par l’espoir, un peu opportuniste, d’avoir un certain gain politique d’un « mouvement », quel qu’il soit. Sauf que derrière l’intoxication « no vax », il y a les fascistes de toujours.
L’ambiguïté utile du gouvernement Draghi
Il faut dire que, exactement comme il y a cent ans, alors que les miliciens mettaient à sac les sièges syndicaux, la police se contentait de regarder avec bienveillance. Au-delà du fait que le Préfet de Rome est un vieil ami de Salvini, l’attitude du gouvernement, des médias et des « gens bien » qui commande en Italie, a été, jusqu’à aujourd’hui, plutôt bienveillante envers les fascistes. L’extrême-droite et les organisations mafieuses, même si elles n’agissent pas de façon complètement autonome, forment historiquement une partie du tissu qui garantit le pouvoir de la bourgeoisie dans la péninsule. Et nous sommes sûrs que dans le futur, y compris le futur proche, cela ne sera pas différent.
On parle de mettre hors-la-loi Forza Nuova, l’organisation néo-fasciste qui a été la protagoniste des actions à Rome. Mais montent déjà des voix assourdissantes qui veulent interdire aussi la violence « de gauche », et même, surtout, celle-là. Inutile de dire que ce que l’on voudrait interdire, ce sont les dissensions et le conflit social, surtout en ces temps de licenciements de masse et d’attaques sociales de plus en plus fortes. Par ailleurs le célèbre décret Salvini contre les migrants d’il y a trois ans contient déjà des dispositions très répressives par rapport aux piquets de grève, aux occupations d’usines et aux manifestations de rue.
Ne laissons pas d’espace aux fascistes
Mais la riposte à l’agression ne s’est pas fait attendre : déjà, pendant la nuit de samedi et le dimanche matin, des milliers de personnes se sont rassemblées devant les Bourses du Travail dans tout le pays, démontrant ainsi non seulement leur solidarité avec la CGIL mais aussi la défense du mouvement ouvrier, de son histoire et de ses possibilités d’action. Une manifestation nationale est prévue à Rome le samedi 16 octobre.
Et le lundi 11, il y a eu une grève générale, prévue depuis longtemps par les syndicats de base, en défense de l’emploi, des salaires et des droits syndicaux, avec des manifestations dans tout le pays, bien plus importantes que les initiatives semblables de ces dernières années ; c’est un signal positif.
Reste le fait, pour les grandes organisations syndicales, que les déclarations grandiloquentes et rhétoriques sur l’antifascisme ne serviront pas à grand chose si l’on n’est pas capable d’organiser un mouvement syndical indépendant et de classe — de ce point de vue, l’accolade fraternelle entre le secrétaire de la CGIL et Draghi ne laissent pas espérer grand chose. Pour battre les fascistes et clarifier l’histoire complexe du green pass, il faut un mouvement ouvrier fort, qui sache se défendre efficacement par rapport aux licenciements et aux restructurations sauvages post-covid des entreprises. Et qui ne laisse pas le moindre espace aux fascistes, dans la rue et dans la bataille politique elle-même.
Traduction Bernard Chamayou