Publié le Vendredi 3 janvier 2014 à 09h00.

Russie : Des libérations mais une solidarité toujours nécessaire

La libération récente de Mikhaïl Khodorkovski, après 10 ans d’emprisonnement, a fait sensation en Russie et dans le monde entier. Pour le régime de Vladimir Poutine, se défaire du « prisonnier politique n°1 » était plus une mesure de nécessité qu’un véritable signe de libéralisation du système..

La décision de libérer Khodorkovski intervient sur fond d’une stagnation économique qui s’embourbe, d’un reflux continu des capitaux du pays, d’une chute des investissements et d’un potentiel échec politique des jeux Olympiques d’hiver de Sotchi.

Un pouvoir prêt à faire des concessionsLe sens à donner au signal envoyé par Poutine à l’élite mondiale est donc clair : nous sommes dans une situation difficile et nous sommes prêts à faire des concessions. Khodorkovski est depuis longtemps considéré comme un héros par une frange de la société assez mince mais influente : les classes moyennes urbaines libérales, certains secteurs des grandes et moyennes entreprises et toute une armée de représentants des médias qui s’adresse à ces couches. Il s’agit là des insatisfaits de la corruption et de l’incapacité de l’État à fournir des garanties suffisantes en matière de propriété et de sécurité privées. Cependant, tous ces gens sont à présent conscients du fait que le message qui accompagne la libération de l’ex-milliardaire s’adresse exclusivement à l’extérieur et ne constitue pas un grand bouleversement en termes de politique intérieure. Cela dit, l’amnistie déclarée à l’occasion des 20 ans de la Constitution de la Fédération de Russie touche des couches de la population bien plus larges.  Le projet d’amnistie adopté par le Parlement début décembre apparaît comme une tentative du régime de Poutine de faire baisser la pression liée à la peur constante et au manque de confiance de l’immense majorité envers l’État et, tout particulièrement, envers ses organes de maintien de l’ordre. Dans les semaines à venir, quelque 25 000 prisonniers – soit près de 3 % du total – doivent être libérés. Il s’agit avant tout de personnes condamnées pour vol, escroquerie (motif par lequel il est courant de se débarrasser de ses concurrents en affaires, grâce à la corruption des instances judiciaires) ainsi que de presque tous ceux dont la peine ne dépasse pas les 5 ans. Selon les sondages, 40 % de la population est en faveur de l’amnistie. Cependant, cette action a réellement la capacité de faire basculer le sentiment d’aliénation des citoyens russes vis-à-vis de leur propre État.

Des militantEs politiques toujours incarcéréEsDans le même temps, une série de prisonniers politiques sont également graciés. Ainsi, il y a quelques jours, les membres de Pussy Riot, Nadejda Tolokonnikova et Maria Alekhina, ont été libérées. Ces derniers mois, celles-ci avaient mené une campagne héroïque à l’écho retentissant pour les droits des femmes prisonnières. Leurs actions et leurs lettres de prison, où elles racontaient le sort des prisonnières condamnées aux travaux forcés et les humiliations de la part de l’administration, ont forcé la direction de l’administration pénitentiaire à mener des enquêtes et à mettre en lumière les violations de la loi dans certaines colonies pénitentiaires pour femmes. La libération des Pussy Riot – qui, il faut le souligner, ont exprimé leur refus d’être libérées sur amnistie – est surtout liée à la volonté du gouvernement de mettre fin à leurs actions pour l’auto-organisation des prisonnières.Une autre conséquence importante de l’amnistie est la libération de cinq accusés dans l’affaire connue sous le nom d’ « affaire du 6 mai », un procès politique scandaleux à travers lequel des dizaines de participants aux manifestations de l’année 2012 sont accusés de « troubles massifs de l’ordre public » et de « recours à la violence envers la police ». Parmi les personnes libérées on trouve l’activiste du Front de gauche Vladimir Akimenkov, qui a presque totalement perdu la vue suite à son année d’emprisonnement, ainsi que l’activiste de gauche du mouvement LGBT Nikolai Kavkazskii. Cependant, la plupart des accusés dans cette affaire n’entre pas dans le champ de l’amnistie : il s’agit de ceux que l’on accuse d’avoir eu recours à la violence à l’égard de policiers. Serguei Oudaltsov, l’un des représentants les plus connus de la gauche radicale, est toujours assigné à résidence. Alexei Gaskarov, le leader socialiste du mouvement antifasciste, restera en prison. Ainsi, les revendications portant sur la libération des prisonniers politiques en Russie restent importantes et urgentes. Et cette amnistie nous montre que l’opinion publique, la pression internationale et la solidarité ont là un rôle décisif à jouer.

De Moscou, Ilya Boudraitskis(traduit du russe par Matilde Dugaucquier)