Les élections qui se sont tenues le 18 septembre pour la chambre basse du Parlement russe (la Douma) ont été marquées par la participation électorale la plus faible (48 %) de toute l’histoire post soviétique...
C’est notamment dans les grandes villes que le désintérêt pour les élections a été le plus criant, la participation électorale se soldant à 35 % dans les circonscriptions de Moscou, et à 32 % dans celles de Saint-Pétersbourg. À titre de comparaison, en 2011, quand les fraudes électorales avaient entraîné des actions massives de protestation, la participation électorale avait été de 66 % dans la capitale.
Bilan de ces élections : Russie unie, le parti pour lequel Vladimir Poutine a appelé ouvertement à voter, obtient un nombre record de députés (345 sur 450). Les quatre autres partis qui seront représentés dans la nouvelle mouture du Parlement – dont les xénophobes de droite du Parti libéral-démocrate de Russie (le LDPR de Vladimir Jirinovski), le Parti communiste (KPRF) et le parti Russie juste de centre gauche –, représentent ce « consensus de Crimée » qui soutient le Kremlin dans l’immense majorité des questions de politique intérieure et internationale. Ils sont totalement dépendants de l’administration présidentielle pour la détermination de leur orientation. Deux partis de l’opposition libérale – Iabloko et le Parti de la liberté du peuple – ont totalisé ensemble moins de 3 % des voix et donc échoué à obtenir des députés.
Pour le régime de Poutine, ces élections n’avaient d’importance que sous deux aspects : le maintien d’un faible niveau de politisation de la société et la garantie d’une hégémonie totale de gouvernance à la Douma, dans un contexte où la crise économique s’approfondit et où le gouvernement prépare des « réformes impopulaires ». L’arrière-plan social sur le fond duquel s’est déroulée la consultation électorale a tout pour inspirer les craintes : en août, les revenus de la population pour l’année en cours avaient chuté de 8,3 %, alors que plus de 20 millions de personnes étaient déjà sous le seuil de pauvreté. Un des consultants néolibéraux les plus en vue de Poutine, l’ancien ministre des Finances Alexeï Koudrine, a ouvertement exprimé l’espoir que le nouveau Parlement fasse preuve de « responsabilité » et devienne au plus vite « le moteur » de réformes, au rang desquelles l’augmentation de l’âge de départ à la retraite.
Tout sécuritaire
L’apathie politique dont ces dernières élections ont témoigné, est liée non seulement au pessimisme en ce qui concerne les possibilités que le système change et au discrédit général qui pèse sur l’institution parlementaire russe. Cette apathie est également liée à la conviction que toute alternative à Poutine mène au chaos et à la guerre civile. La peur du changement, voilà l’argument propagandiste privilégié du pouvoir, depuis des années, qui avec quelque efficacité parvient à contenir l’expression du mécontentement face à la chute du niveau de vie et aux différenciations sociales brutales au sein de la société.
L’élection de ce Parlement impuissant, totalement lié aux volontés du Kremlin, a son importance en tant que test pour les présidentielles de l’année 2018 : Vladimir Poutine compte bien les remporter avec un score triomphal. Il mise pour cela sur la plus grande dépolitisation des élections, leur transformation en un plébiscite en faveur de l’ordre existant. Le Kremlin cherche à s’assurer que les protestations de l’année 2011 ne se répéteront pas, non seulement en s’attachant à préserver le niveau d’apathie politique, mais aussi en renforçant les mesures répressives. Ainsi, au début de cette année, une nouvelle structure a été fondée, la garde nationale, dont la fonction essentielle est la répression d’une irruption éventuelle des masses. Aujourd’hui, la presse russe fait état de discussions sur un éventuel plan de renforcement des forces spéciales, par la création d’un nouveau ministère de la Sécurité nationale (le nom même renvoie de façon alarmante à l’institution de l’époque stalinienne).
Le fait que le résultat de ces élections était prévisible ne devrait duper personne. Ce qui s’annonce, c’est-à-dire la poursuite de la dégradation du modèle capitaliste post-soviétique, aussi bien sur le plan économique que politique, n’est pas de bon augure.
De Moscou, Ilya Boudraitskis
(Traduit par Michèle Verdier)