Depuis le 7 du mois, des dizaines de travailleurs organisent un sit-in devant leur direction régionale à l’EDIMCO. Ils réclament le versement de leurs salaires suspendus depuis 3 mois, et la reprise de l’activité sur leur unité de production de Seddouk mise à l’arrêt par la direction. Ce sont donc 120 salariés qui risquent de se retrouver à la porte, victimes d’un sabotage en règle par le régime en place du secteur public hérité de la révolution nationale.
Le travail de sape du secteur public en Algérie n’en finit pas, en particulier dans l’industrie. Héritage de la période post-indépendance, ce tissu industriel posait les bases d’une logique de développement volontariste incarné par le complexe sidérurgique d’El Hadjar. La privatisation rampante des fleurons de l’industrie n’a d’autre objectif que de permettre le pillage des richesses nationales à une poignée d’oligarques qui ont fait fortune à l’ombre de la bureaucratie d’Etat, ainsi qu’aux multinationales impérialistes. C’est ainsi que l’Etat s’apprête par exemple à céder la moitié de la production de gaz naturel liquéfié (GNL) et de gaz de schiste à Total. La destruction programmée des entreprises nationales constitue le premier pas pour faire accepter les contre-réformes libérales qui visent à terme à la privatisation de l’ensemble des entreprises publiques. Les vingt dernières années de présidence Bouteflika, contre lesquelles se sont élevées les masses populaires algériennes par millions depuis le 22 février, ont constitué la période la plus débridée de cette contre-offensive contre nos acquis nationaux. Le cas de SOMACOB vient allonger la longue liste des entreprises situées dans le collimateur des réformateurs libéraux à la sauce FMI – Banque Mondiale.
SOMACOB, chronique d’une lutte pour la préservation de l’outil de travail Le conflit à la SOMACOB remonte à l’année dernière. En 2018 déjà, les travailleurs des deux briqueteries de Seddouk et Remila ont eu à subir un sort quasi-identique à celui de cette année : 3 mois sans salaire. La direction évoquait à ce moment-là des soi-disant difficultés financières. Pourtant, de l’avis même des travailleurs, la société engrangeait des bénéfices assez importants, mais en raison de lourdeurs bureaucratiques la production bat de l’aile. Une lutte acharnée a opposé les travailleurs à la direction, qui les assignait alors en justice. Dans un premier temps les travailleurs s’étaient adressé sen haut lieu, au premier ministre de l’époque Ahmed Ouyahia, sans réponse…Ce n’est qu’après quelques jours de grève, que la direction s’était finalement pliée aux revendications des ouvriers, et promettait que dorénavant les salaires seraient versés au plus tard le six du mois.
Mais voilà qu’aujourd’hui l’histoire se répète avec son lot de détresse pour quelques 120 pères de famille. A peine un an après, à l’approche de la fête de l’Aïd, les travailleurs de la même briqueterie de Seddouk se retrouvent sans salaire depuis 3 mois. Et ce que les travailleurs dont la paie n’excède pas les 30.000 DA disent trouver de plus choquant, c’est qu’au moment où la direction évoque un déficit budgétaire pour justifier de ne pas payer les ouvriers, la hiérarchie de l’entreprise, notamment le directeur du pôle régional, ont tous reçu leurs salaires, soit plus de 100.000 DA rubis sur ongle.
Les travailleurs avaient pourtant déjà tiré la sonnette d’alarme pour empêcher qu’un tel blocage n’advienne. L’un d’eux s’offusque ainsi : « On se retrouve deux jours sans matières premières, alors qu’un stock s’impose pour assurer le fonctionnement normal de notre unité ». C’est donc pour faire face à ce sabotage en règle de leur unité qui appartient au groupe DIVINDUS APMC, mais aussi de l’entreprise dans son ensemble, que les travailleurs se mobilisent. Leurs revendications sont claires : le versement de leurs salaires et la sauvegarde de leur outil de travail. Car au moment où nous écrivions ces lignes, l’unité de Seddouk demeure cadenassée, et la crainte de ces travailleurs, qui ont fait les beaux jours de leur entreprise, reste pesante. Une rencontre entre la section syndicale et trois représentants des travailleurs est programmée au niveau d’Alger avec les responsables d’APMC. Jusque-là, les travailleurs affirment qu’ils maintiendront la mobilisation jusqu’à satisfaction complète de leurs revendications.
Le Hirak et la voix des travailleurs
Le hirak populaire a permis aux masses populaires de relever la tête en dégageant le visage d’un régime autoritaire pourri de corruption et de mépris pour les couches populaires. Et c’est après deux grèves massives, quasi-générales, que Bouteflika a dû démissionner. Cela montre bien la force des travailleurs pour jouer le rôle de moteur dans le mouvement populaire. Mais la chape de plomb de la bureaucratie syndicale qui dirige l’UGTA empêche la classe ouvrière de peser de tout son poids dans la bataille, et d’apparaître avec un programme qui réponde aux aspirations sociales et démocratiques de l’ensemble des opprimés que compte le peuple algérien. Dans le cas de la SOMCAOB comme de toutes les entreprises menacées de fermeture ou de privatisation, la direction de l’UGTA refuse de mettre en place un plan de bataille, quand elle ne soutient pas ouvertement la casse des acquis de la révolution nationale. Pourtant c’est bien un tel plan de bataille qu’il faudrait, l’union de tous les travailleurs du public comme du privé, pour revendiquer la nationalisation des grandes entreprises et leur mise sous contrôle ouvrier, l’ouverture des livres de compte et la levée du secret bancaire et commercial, pour que les travailleurs aient accès aux informations concernant leur entreprises et empêchent le sabotage programmé de leurs outils de travail. Contre les directions syndicales bureaucratiques qui marchent main dans la main avec le régime, il est nécessaire que les travailleurs aient une expression indépendante, et qu’ils s’organisent démocratiquement avec des représentants élus et révocables, pour une véritable refondation de l’UGTA indépendante, combattive, et représentative des intérêts des travailleurs. Cette question revêt une importance stratégique pour l’ensemble du mouvement populaire qui s’apprête à reprendre de plus bel dès la rentrée sociale, car il n’y aura que par la grève générale que le hirak pourra dégager le régime en place, et mettre en place une assemblée constituante révolutionnaire, souveraine et représentative des intérêts de la majorité du peuple algérien.
Adlène Belhmer, membre du Parti socialiste des travailleurs (pst-algerie.org)