Les luttes sociales ne se sont pas arrêtées avec la coupe de monde de football. Au contraire, ces dernières semaines, un nouveau conflit massif et qualifié de « dur » s’est déroulé dans ce pays, le deuxième au monde pour ce qui est des inégalités sociales. Lundi 6 septembre, après vingt jours de lutte, les syndicats sud-africains ont « provisoirement » arrêté la grève de la fonction publique. Ils se sont donné trois semaines pour consulter leur base et décider s’ils accepteront la proposition salariale du pouvoir qu’ils avaient initialement rejetée. La grève, commencée le 18 août dernier, avait mis en mouvement 1,3 million de membres de la fonction publique dont les salaires sont souvent extrêmement bas (au point qu’on pouvait lire sur les pancartes des manifestants : « les prostituées gagnent plus que les enseignants »). Elle touchait surtout les hôpitaux et les écoles, mais certains signes annonçaient une extension au secteur privé. Ainsi, le syndicat des mineurs, le NUM (National Union of Mines’ Workers), avait annoncé le 27 août dernier une grève de solidarité pour le jeudi 2 septembre, avant de suspendre l’appel afin de permettre aux salariés et aux syndicats des services publics « d’étudier la proposition salariale » du gouvernement. Avec 320 000 adhérents, il s’agit de la plus grande fédération syndicale de branche en Afrique du Sud, dont l’industrie minière est le premier secteur économique. Les salariés des services publics réclamaient une augmentation générale de 8,6 % des salaires et une revalorisation de l’allocation d’aide au logement, qui est actuellement de 600 rands mensuels, à 1 000 rands (l’équivalent de 107 euros) pour permettre aux fonctionnaires de se loger dignement en suivant le coût réel des logements locatifs. Le gouvernement propose désormais une augmentation de 7,5 % (après avoir d’abord proposé 7 %) et une revalorisation de l’allocation logement à 800 rands, l’équivalent de 86 euros par mois. HésitationsLes syndicats hésitent à accepter ces augmentations inférieures à leurs revendications, mais ils doivent tenir compte d’une baisse relative de popularité de leur mouvement. D’abord massivement soutenu, celui-ci a perdu un peu de terrain parmi les familles pauvres dans la mesure où les urgences des hôpitaux ne fonctionnaient plus (des cas individuels de décès pour cette raison étant même signalés). Les familles des milieux populaires n’ont pas la possibilité, réservée aux élites de l’Afrique du Sud post-Apartheid, de scolariser leurs enfants dans le privé ou d’avoir recours aux cliniques privées.Face à l’impact important de la grève, le gouvernement avait mobilisé jusqu’à 4 000 militaires afin de travailler aux urgences des hôpitaux, pour y « assurer les soins, la sécurité et le nettoyage ». C’était le cas dans 64 hôpitaux au total. La mobilisation des militaires – ajoutée aux heurts importants entre grévistes et policiers – a contribué à produire des images spectaculaires du mouvement social. Dans les coulisses, se déroulait aussi une lutte politique sourde entre les directions de l’ANC (African National Congress, le parti au pouvoir) et celle de la confédération syndicale Cosatu, forte de ses 2 millions de membres. La Cosatu forme avec le Parti communiste sud-africain (SACP) et l’organisation de jeunesse du parti dirigeant (Ancyl), une alliance soutenant en principe l’ANC, mais réclamant des progrès sociaux… au lieu de laisser s’enrichir une nouvelle bourgeoisie affairiste « noire » qui gravite autour de la direction de l’ANC. À travers cette grève, la Cosatu a tenté d’avancer dans le sens des intérêts des travailleurs tout en évitant de couper totalement le « cordon ombilical » avec l’ANC, dont elle était le « bras syndical » durant la période de la lutte contre l’apartheid. Bertold du Ryon