Les rencontres de protagonistes de la tragédie syrienne se sont multipliées depuis deux semaines... pendant que la guerre continue. Un vote unanime à l’ONU a relancé un calendrier pour un « processus de paix » qui devrait débuter en janvier. Le peuple syrien peut-il enfin entrevoir l’espoir de la fin des massacres et de l’oppression ? Les intérêts en jeu font craindre qu’une fois de plus la communication l’emporte sur les droits humains.
L’administration états-unienne comme l’Union européenne ont été claires : la priorité absolue sur la « crise syrienne » doit être de juguler la montée en puissance de l’État islamique/Daesh... et l’augmentation du flux des réfugiés de guerre. Du coup, tous les efforts sont faits pour un accord avec les « parrains » russe et iranien du régime d’Assad. Les diverses puissances régionales avec chacune leur intérêt, comme les forces combattantes en Syrie, s’adaptent à cette nouvelle dynamique, d’autant plus que la guerre ne donne aucune avancée significative de tel ou tel, et que les populations sont épuisées par quatre ans de guerre et de privations terribles, de déplacements massifs et de désillusion sur tous les pouvoirs établis.
Résolution...
Le secrétaire d’État américain John Kerry a poussé les feux le 14 décembre dans le cadre du Groupe de soutien international à la Syrie (ISSG, regroupant tous les États peu ou prou concernés), mis en place en octobre-novembre à Vienne. Il a rencontré Poutine lui-même pendant trois heures le 15 décembre. C’est ce forcing qui a abouti à la résolution unanime du Conseil de sécurité de l’ONU vendredi 18 décembre. Celle-ci prévoit des négociations entre le régime et l’opposition dès janvier sous l’égide du secrétaire général Ban Ki Moon, pour un cessez-le-feu sur tout le territoire syrien « dès que le pouvoir et l’opposition auront fait les premiers pas vers une transition politique », puis un gouvernement de transition dans les six mois, et des élections dans les dix-huit mois.Vu la situation actuelle, il s’agit d’un programme particulièrement ambitieux, mais pour les grandes puissances, elle signifie deux choses essentielles : toute force syrienne qui ne rentrerait pas dans ce cadre serait considérée comme terroriste, et donc à annihiler… et tous les efforts de l’UE pour repousser les réfugiés syriens hors de son territoire seraient légitimés... puisque la guerre serait finie !
Négociations...
Cela implique d’autres manœuvres, autour des forces politiques syriennes. Ainsi trois réunions de « l’opposition » ont eu lieu entre le 10 et le 14 décembre. Les représentants de la Coalition nationale syrienne avec la plupart des groupes armés combattant le régime, se sont réunis le 10 décembre à Riyad sous le patronage intéressé de l’Arabie Saoudite. Elles ont convenu d’une plateforme pour une délégation commune qui négocierait avec le régime. Elles affirment que le départ d’Assad doit s’imposer au cours du processus, mais que dès le début, le régime doit faire des « gestes de confiance » : arrêt des bombardements, libération des prisonniers politiques. Le groupe islamiste armé Ahrar Al-Cham semble s’être dissocié de cette plateforme commune, en particulier parce que celle-ci « réaffirme l’attachement à une Syrie unie, libre, démocratique, respectueuse des droits de tous les citoyens », plutôt que la proclamation d’une Syrie musulmane (comprise comme « sunnite »).Quoi qu’il en soit, Assad a déjà dit qu’il ne négocierait pas avec des « terroristes », sachant que pour lui cette notion est très extensive, et qu’il a dans le même temps réuni sa propre « opposition » officielle à Damas.
Proclamation...
Trois jours plus tard se fondait dans le Rojava à la frontière nord, le « Conseil démocratique syrien » autour des Kurdes du PYD et des forces qui lui sont associées, se proclamant « opposition démocratique et laïque », indépendante des puissances islamistes régionales, des pays du Golfe à la Turquie. Présidé par Haytham Manna, exilé anti-baathiste en France qui s’est isolé au fil des années en concentrant toutes ses attaques contre le soulèvement populaire et l’Armée syrienne libre, pas plus reconnu par les comités locaux, il est à craindre que ce CDS soit instrumentalisé comme les autres. Cela à moins que les laïques kurdes ne parviennent à des accords avec les principaux acteurs du soulèvement syrien, incluant la chute du régime et de ses tortionnaires et un programme démocratique et respectueux de toutes les composantes du peuple syrien. Seule cette dynamique, en lien avec une solidarité citoyenne internationale plus forte, permettrait de desserrer l’étau des puissances qui les étouffent et qui tendront à perpétuer la guerre.
Jacques Babel