La situation à la frontière entre la Turquie et la Syrie, puis entre les deux pays en général, s’est fortement tendue depuis une à deux semaines. Lundi 15 octobre, la Turquie a annoncé la fermeture de son espace aérien pour tous les avions syriens.
Ces mesures d’interruption du trafic aérien ont été déclenchées par le litige entre les deux pouvoirs sur la fouille effectuée par les autorités turques, mercredi 10 octobre, sur un avion de ligne effectuant la liaison Moscou-Damas en passant par Ankara. Le gouvernement turc reproche aux autorités russes et syriennes d’avoir fait transporter « des éléments d’armes et des munitions » par cet avion civil. La presse russe a répondu qu’il s’agissait d’éléments « de systèmes de radar anti-missiles », donc bien de pièces prévues pour des installations militaires, mais que le transport de celles-ci « ne nécessite aucune autorisation en droit international ».
Auparavant, pendant la première semaine d’octobre, des tirs d’artillerie avaient été échangés des deux côtés de la frontière syro-turque. Mercredi 3 octobre, un obus tiré depuis le territoire syrien avait tué cinq personnes – une mère et ses quatre enfants – à Akçakale. Dès le lendemain, le gouvernement turc se fit autoriser des « opérations militaires en territoire étranger », syrien, par un vote du Parlement. Plusieurs autres obus explosèrent du côté turc de la frontière, auxquels répondirent des tirs d’artillerie turc. Mais dans le discours des autorités turques, on put plutôt détecter une recherche de la désescalade. Ankara prétendait que l’armée du régime syrien aurait obéi à l’injonction de se retirer à dix kilomètres derrière la frontière… ce qui était semble-t-il faux.
À ce comportement des autorités turques, soufflant le chaud puis le froid, on peut trouver plusieurs raisons. Il est vrai qu’initialement la tentation « d’y aller » militairement, en Syrie, a bien semblé démanger le gouvernement turc. Quand, en juin, un avion militaire turc – qui s’était rapproché d’une installation radar sur la côte syrienne – a été abattu au-dessus de la Méditerranée, la rhétorique était guerrière. À l’époque, le pouvoir turc avait sollicité un mandat de l’Otan, mais l’Alliance atlantique déclara juste après ne pas souhaiter intervenir militairement sur le sol syrien.
La réalité est que les grandes puissances occidentales ne veulent pas intervenir directement dans le conflit syrien. Pour ce qui concerne la Turquie, les choses peuvent être différentes. Jusqu’à il y a peu, elle adoptait une politique de « zéro ennemi dans la région » et de bonnes relations avec tous les régimes s’y trouvant – syrien, iranien, saoudien etc. Or, cette position n’est plus tenable avec la radicalisation du conflit en Syrie.
Il est néanmoins improbable que la Turquie intervienne militairement contre le régime syrien. Toute une brochette de hauts et très hauts officiers ont été démis de leurs fonctions au cours des derniers mois par le pouvoir du AKP (« islamiste modéré »), voire traduits en justice pour « participation à des complots ». L’armée turque serait actuellement plutôt difficilement en état de combattre une armée fortement structurée et armée comme celle de la dictature syrienne.
La réelle intention du pouvoir turc semble être, avant tout, de se tenir prêt à remplir un prétendu « vide » dans les zones kurdes en Syrie. Le scénario de la création d’un deuxième « havre » d’autonomie kurde, après la région autonome du Kurdistan irakien, apparaît comme un cauchemar aux yeux du pouvoir turc. Ainsi il souhaite se montrer prêt à projeter sa puissance au sud de la frontière : moins pour affronter la dictature syrienne que pour empêcher des velléités d’autonomie kurde.
Bertold du Ryon