Notre camarade Chris Den Hond, toujours présent au Caire, a été retenu par l'armée pendant plus de 5 heures et témoigne:
Comment se présente la situation au lendemain du vendredi 4 février, baptisé par les adversaires de Moubarak de « Jour du départ » ?
Depuis le début de la crise politique existait le couvre-feu, mais depuis le vendredi 4, c’est devenu l’état d’urgence exercé par l’armée à l’égard de toute la population et en particulier à l’égard des étrangers, surtout s’ils sont journalistes. Ainsi ce samedi 5 février, nous nous sommes rendus à Suez, à 150km du Caire, pour y faire un reportage.
La sécurité militaire nous a arrêtés, fouillés et nous a retenus pendant plus de 5 heures avant de nous renvoyer au Caire avec interdiction de filmer.
Sur place, la situation change un peu tous les jours malgré les apparences de statu quo. Vendredi 4 février un nombre considérable de manifestants ont occupé la Place Tahrir pour exiger le départ de Moubarak, bien que les accès à la place aient été solidement contrôlés. Les quelques rassemblements pro Moubarak étaient minuscules mais violents.
Au Caire, qui contrôle les quartiers ? La police ou les comités ?
La situation est assez chaotique. La police s’est retirée et les habitants des quartiers ont organisé des commandos pour se protéger. Tous les 150 mètres, on tombe sur des barrages il est souvent difficile de savoir dans quel camp se situe le commando qui tient le barrage. Dès qu’ils remarquent quelqu’un qui n’est pas du quartier, on l’interpelle, il doit ouvrir son sac et s’il a sur lui une camera il est remis à la police où à l’armée qui interdit d‘enregistrer de l’image ou du son.
En l’absence d’autorité centrale, il règne une ambiance de suspicion généralisée rarement vue ailleurs dans le monde, même dans des zones à risque en Amérique centrale, en Turquie ou en Palestine. Les opposants plus ou moins connus n’osent pas parler aux médias sous peine de se faire menacer de mort par des commandos. C’est une situation assez difficile à décrire.
Vendredi 4 février, les journalistes de notre hôtel n’ont pas pu sortir en rue car les commandos pro Moubarak avaient organisé l’occupation du quartier.
Est-ce que le gouvernement égyptien a lancé la chasse aux journalistes étrangers ?
Le gouvernement a vraiment orchestré une campagne contre les étrangers, en particulier contre les cameramen, en les accusant d’être responsables des troubles. Il a envoyé ses sbires contre les journalistes. On sent un flottement dans la population à l’égard des étrangers: certains disent « Welcome », d’autres disent « No Welcome ». Il existe un très fort sentiment de fierté nationale chez les Egyptiens, sentiment qui est en ce moment instrumentalisé par le gouvernement.
Il est évidemment difficile de savoir exactement ce que pensent exactement les pro Moubarak car s’ils t’attrapent ils détruisent en premier lieu ta camera et ensuite ils te lynchent.
Au Caire l’irruption des masses sur la scène politique réclamant le départ de Moubarak a ouvert un espace de liberté au centre de la capitale, sur la Place Tahrir, mais ailleurs, dans l’ensemble du pays, c’est toujours la dictature et les arrestations arbitraires font partie du lot quotidien de la population.
Et sur le plan politique ?
La nouvelle importante de la journée de samedi 5 février est évidemment que toute la direction du PND a démissionné, y compris Moubarak. Il reste à voir comment la population va réagir. Tout le monde sent que petit à petit Moubarak va devoir préparer ses valises. La question est de savoir s’il faut attendre septembre ou est-ce qu’il va devoir dégager plus tôt.
Un facteur important que l’on n’avait pas vu jusqu’à présent est la pression des Etats-Unis pour que Moubarak lâche le gouvernail le plus vite possible. La méthode Obama n’est pas évidemment celle de Bush. Cela ne veut pas dire que les dirigeants des Etats-Unis se sont subitement rangés du côté des masses opprimées, mais qu’ils sont conscients que la situation de Moubarak est intenable à terme et que s’ils ne maîtrisent pas le changement, ce changement sera maîtrisé par d’autres.
Propos recueillis par Guy Van Sinoy