Trump est issu du monde des affaires. Il a gagné les élections sur un discours nationaliste tourné vers la fraction blanche des perdants du rêve américain et ne contrôle pas totalement le Parti républicain. Ces trois paramètres conditionnent sa politique.
Trump est arrivé au pouvoir avec un programme plein de promesses en tout genre dont le fil directeur est le nationalisme. Au premier rang, la défense des emplois à la fois contre les pays étrangers et contre les travailleurEs étrangers. Il a en outre promis de lancer un programme de reconstruction des infra-structures (ponts, routes, etc.), souvent en mauvais état, et de démanteler l’Obamacare tout en mettant en place un système plus efficace. Il a juré qu’il nettoierait le « bourbier » de Washington et dénoncé les banquiers de Wall Street.
Dès ses premières nominations, il est apparu que les hommes de Wall street (et notamment ceux de la banque Goldman Sachs) étaient partout, avec en outre des PDG et des ultra-conservateurs, sans oublier des membres de la propre famille de Trump. Certaines de ces nominations sont de véritables provocations, comme celle de Scott Pruitt à la tête de l’agence de l’environnement : le dit Scott Pruitt est directement lié aux industries pétrolières et gazières, qui ont financé ses campagnes électorales passées.
Un gouvernement pro-business
Le premier décret signé par Trump après son entrée en fonction visait à abroger l’Obamacare, un système très imparfait (rien à voir avec une véritable sécurité sociale), mais qui avait eu au moins le mérite de réduire le nombre d’ÉtatsunienEs sans couverture maladie. Mais le texte d’abrogation n’est pas passé au Congrès : un certain nombre d’élus républicains s’y sont opposés (en craignant sans doute les conséquences électorales) : c’est la première défaite politique de Trump qui, en octobre 2017, revient à la charge avec un nouveau texte vidant l’Obamacare d’une partie de sa substance.
Cette affaire montre que Trump a besoin, sur la scène intérieure, du soutien des parlementaires républicains, alors qu’il a beaucoup plus de latitudes à l’international. Outre leur soumission aux lobbies, ces élus sont des ultra-libéraux attachés au dogme de l’équilibre budgétaire et de la réduction des dépenses (sauf quand cela concerne leur circonscription ou les crédits militaires).
C’en est donc fini pour le moment du programme de grands travaux (malgré le soutien des géants du BTP et des syndicats de salariéEs du secteur). Par contre, Trump n’a guère eu de mal à faire adopter un budget coupant les crédits de bon nombre de programmes civils (santé, éducation, etc.) et augmentant ceux de la défense et de la sécurité intérieure. Trump a réussi ensuite à faire passer son plan fiscal, abaissant de 35 à 21 % le taux de l’impôt sur les sociétés et réduisant l’impôt sur les revenus élevés.
Le président US a dès le début de son mandat vilipendé la réglementation financière (insuffisante) mise en place après la crise de 2008, à travers la loi Dodd-Frank. « Nous allons beaucoup couper dans Dodd-Frank parce que franchement, j’ai tellement de gens, des amis qui ont de bonnes entreprises, qui ne peuvent pas emprunter de l’argent », a-t-il déclaré. Une loi adoptée en mai dernier exempte les banques petites et moyennes de l’application de ces règles. Les grandes banques, pour leur part, s’emploient à faire lever l’interdiction de spéculer pour leur propre compte ; cette mesure sera sans doute bientôt adoptée. Les possibilités de recours des citoyens contre les malversations des banques ont été réduites.
America first !
Sur tous ces terrains, Trump se situe plus ou moins dans le sillage de ses prédécesseurs qui, chacun à leur façon, ont servi les intérêts des possédants. Les autres volets de son action sont plus marqués par son populisme. Dans le cadre de son climato-scepticisme et de ses liens avec les industries extractives, il a ainsi remis en cause la participation des États-Unis à l’accord de Paris sur le climat. Et il a surtout entrepris un virage par rapport au credo libre-échangiste inlassablement prêché depuis des années par les présidents successifs (même si dans les faits, les États-Unis conservaient des outils protectionnistes). C’est le sens des relèvements de droits de douane visant la Chine et l’Union européenne, et de la menace de dénonciation de l’ALENA (accord de libre-échange nord-américain avec le Mexique et le Canada).
Au-delà des foucades de Trump, de quoi s’agit-il ? D’une véritable offensive protectionniste, mais qui serait contradictoire avec les intérêts des grandes multinationales américaines (comme Apple) dont les circuits de production sont complètement internationalisés ? Ceci sans même parler des industriels localisés sur le sol étatsuniens mais qui dépendent d’importations extérieures : une fédération patronale, représentant les entreprises dépendantes de l’acier importé, vient ainsi de déposer une plainte devant le tribunal de commerce international à New York ; elle juge que la section de la loi de 1962, à laquelle Donald Trump a eu recours pour imposer les taxes à l’importation d’acier en invoquant un impératif de défense de la sécurité nationale, est inconstitutionnelle. S’agit-il d’une réaction par rapport à la montée de la Chine ? Tout cela va-t-il déraper en une guerre commerciale ?
Il est trop tôt pour trancher. Certains pensent que ce volet de la politique de Trump (ainsi que d’autres mesures comme le « muslim ban ») sont tellement contradictoires avec les intérêts du grand capital américain que celui-ci va réagir. Mais, comme le souligne Daniel Tanuro1, le grand capital est une abstraction : certaines entreprises pensent qu’elles ont à gagner à des mesures protectionnistes, d ’autres pas ; certaines firmes, comme Apple, affichent leur opposition aux mesures de fermeture des États-Unis mais gagnent un pactole avec la réforme fiscale. C’est pourquoi il est vain à ce stade de s’attendre à une quelconque révolte des capitalistes contre la politique de Trump.
Henri Wilno
- 1. Le Moment Trump, Demopolis, 2018.