Deux questions à Ahlem Belhadj. Médecin hospitalo-universitaire et militante de l'UGTT, Ahlem est surtout connue comme présidente de l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD). Elle est également membre de la Ligue de la gauche ouvrière (LGO) et donc du Front populaire. Elle revient sur les événements ayant précédé la nomination du nouveau Premier ministre.Quelle a été la politique du Premier ministre Jebali après l'assassinat ?Le soir même du 6 février, il a déclaré qu'il condamnait ce meurtre, mais à ce jour aucune mesure concrète n'a été prise. Il a simultanément proposé la formation d'un gouvernement dont les membres seraient nommés sur la base de leur compétence individuelle et non pas pour représenter un parti politique donné. Il a alors été désavoué par son parti.Pour moi, il s'agissait d'un plan assez intelligent pour sauver Ennahdha, qui était dans une impasse réelle le 6, et surtout le 8, jour de l'enterrement et de la grève générale. Jebali lui-même a reconnu par la suite que s'il n'avait pas fait cette ouverture politique, il aurait pu perdre le contrôle de la situation.Il a également expliqué que, même si elle n'avait pas marché, sa proposition avait eu l'avantage d'absorber la colère de la population. Il a en effet pu focaliser le débat politique autour de sa proposition et les autres alternatives sont devenues caduques. Il a ainsi réussi à sauver le pouvoir d'Ennahdha.Il ne faut pas sous-estimer le rôle des États-Unis, de l'Union européenne et de l'armée tunisienne dans la mise au point des propositions de Jebali. Propositions dans lesquelles se situaient également l'Internationale socialiste, dont sa section locale participe au gouvernement, ainsi que diverses forces politiques tunisiennes de droite et du centre (dont Nidaa Tunes et El Masar).Que se passe-t-il au sein d'Ennahdha ?Il ne faut pas compter sur un éclatement entre une aile « modérée » et une aile « dure ». Ceux qui misent là-dessus se trompent sur toute la ligne. Ennahdha est très hétérogène, les divergences existent et sont réelles. Pour moi, il ne s'agit pas d'une simple mise en scène. Mais ils ont toujours été très forts dans la gestion de leurs conflits internes et ils vont rester ensemble, ils vont gérer leurs conflits.Les rapports de forces au sein d'Ennahdha évoluent sans cesse, et c'est ce qui leur permet de ne pas éclater. Dans le passé, Ghannouchi était souvent présenté comme représentant le « clan modéré ». Aujourd'hui, il est présenté comme représentant l'aile dure face à Jebali qualifié de modéré.Certes, Jebali s'est démarqué du reste de la direction d'Ennahdha en proposant son « gouvernement de compétences ». Il a même refusé la proposition qui lui a été faite de former le nouveau gouvernement. Mais il est toujours un des principaux dirigeants d'Ennahdha, et sera peut-être leur prochain candidat aux présidentielles. Jusqu'à présent, Ennahdha n'avait en effet pas de figure présidentiable. Jebali s'est présenté comme capable de prendre des distances avec son parti et cela lui a permis de se construire une image d'homme d’État, capable de jouer un rôle de rassembleur au-dessus des partis.Pour moi, Ennahdha ne va pas modifier son orientation. Ses militants sont d'accord sur le but final : la nécessité d'un État islamiste et d'une internationale islamiste avec laquelle ils ont des liens très forts. Le parti continuera d'appliquer une politique néolibérale et ne cédera ni sur les revendications sociales ni sur les revendications démocratiques.Extraits d'un entretien réalisé le 22 février et paru dans la rubrique « international » du site www.solidaires.org
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Faujour