Les images choquantes de l’interpellation de l’avocate et chroniqueuse Sonia Dahmani, le 11 mai 2024, lors d’une descente de policiers en civil et cagoulés à la maison de l’avocate de Tunis, et retransmis en direct sur France 24, ont fait le tour du monde. Cette arrestation n’est pourtant que la triste continuité des vagues d’arrestations et de répression qui s’abat sur le pays depuis le coup d’État, le 25 juillet 2021, du président Kaïs Saïed.
Élu en 2019, Kaïs Saïed a été porté au pouvoir à un moment charnière de lassitude collective et d’absence d’alternative politique. Ancien universitaire n’ayant occupé aucune fonction politique, il agrège autour de lui en mobilisant un discours populiste sur les forces révolutionnaires et la volonté populaire dont il serait le seul et unique dépositaire, décrédibilisant ainsi tous les corps intermédiaires — syndicats, médias, associations et société civile.
Concentration des pouvoirs
Dès le 25 juillet 2021, il amorce une restructuration juridique, avec la promulgation d’une nouvelle Constitution concentrant les principaux pouvoirs dans les mains du président. Il s’en prend aux organes démocratiques et instances de contre-pouvoir créés par la Constitution post-révolutionnaire de 2014.
Puis, une véritable chasse aux opposantEs s’instaure : sont concernéEs les opposantEs politiques, les magistratEs, les journalistes, les syndicalistes, les associations et acteurEs de la société civile et, de façon générale, toute personne ou structure critique envers la nouvelle direction politique.
Dans ce cadre, Kaïs Saïed mobilise les concepts de traître à la nation, voire de « mercenaires » qui porteraient « atteinte à l’État au nom de la liberté d’expression ».
L’aide aux migrantEs criminalisée
Afin de s’assurer un certain soutien populaire, il a désigné comme véritable ennemi de l’intérieur les associations venant en aide aux migrantEs, alors que la Tunisie, point de passage pour l’Europe, connaît un grand afflux migratoire.
En réalité, la société civile dans sa globalité est menacée. Les militantEs rapportent des pratiques et humiliations telles qu’il n’y en avait pas eu depuis l’époque de Ben Ali, avec le retour d’une surveillance accrue, des descentes policières dans les locaux, des harcèlements téléphoniques et des affaires montées en épingle sur d’obscurs « financements étrangers », véritable obsession de Kaïs Saïed.
L’arrestation, le 6 mai 2024, de la militante antiraciste Saadia Mosbah est à ce jour la dernière étape d’une criminalisation du travail associatif.
Ainsi, la nouvelle vague d’arrestations d’avocats et journalistes que connaît la Tunisie depuis le 11 mai dernier semblent donc la suite logique de ce retour à la dictature, Kaïs Saïed s’attaquant aux derniers remparts de défense des libertés.
Climat de peur
Les États européens ne sont en rien étrangers à ce grave tournant autoritaire. Si plusieurs officiels ont exprimé des « inquiétudes », il n’en demeure pas moins que l’Union européenne s’accommode parfaitement du nouveau régime, auquel elle a confié la mission d’externalisation de ses frontières et de gestion des migrantEs avant leur arrivée en Europe, tout comme elle s’était accommodée du régime de Ben Ali.
Les similitudes entre les deux régimes se confirment tristement. L’arrestation de l’avocat Mehdi Zagrouba, après celle de Sonia Dahmani, a ravivé un traumatisme : la torture. Mehdi Zagrouba a en effet affirmé avoir été torturé par des policiers juste avant sa comparution devant le juge, l’ayant poussé jusqu’à des vomissements et à un évanouissement lors de l’audience.
En Tunisie, le climat de peur se réinstalle massivement, plus d’une décennie après la révolution, et alors que la liberté d’expression semblait il y a encore quelques années en être le seul acquis.
Des mobilisations et manifestations s’organisent néanmoins pour réclamer notamment une fixation de la date des élections présidentielles devant avoir lieu dans les prochains mois. Aucune échéance n’a encore été fixée alors que le mandat présidentiel touche à sa fin.