Le 6 octobre auront lieu les élections présidentielles en Tunisie dans un contexte de répression politique et de verrouillage du système.
La procédure de parrainage mise en place pour pouvoir être candidat a été particulièrement entachée de restrictions : arrestation de personnes en recherche de parrainage, procédures pour écarter tous les candidats qui pourraient potentiellement faire de l’ombre à Kaïs Saïed.
Mascarade électorale et gestion dictatoriale
Finalement, il y aura deux candidats qui ne contesteront pas la réélection de Kaïs Saïed. Ces élections semblent être une mascarade. Au pouvoir depuis 2019, élu sur une plateforme anticorruption par une opinion lassée des combines et arrangement des partis dirigeant le pays depuis la révolution de 2011, Kaïs Saïed a étendu brutalement son pouvoir en 2021. Utilisant de faux arguments constitutionnels, son coup a permis de se passer du Parlement. Il a depuis pu faire adopter une Constitution taillée sur mesure en 2022. La chasse aux politiciens corrompus étant très populaire, il a bénéficié d’un soutien assez large, le peuple tunisien estimant avoir été trahi par la classe politique à la suite de la révolution.
En effet, les conditions de vie se sont aggravées, les prix ont explosé, la dépendance à la dette et au FMI est restée très importante et les problèmes structurels comme la pauvreté endémique dans les territoires loin du littoral n’ont pas été résolus. Le clientélisme et la corruption ont continué à prospérer.
Sur cette vague, Kaïs Saïed a pu se forger un relatif soutien dans la population mais a lentement glissé dans la gestion dictatoriale des affaires. Arrêtant certains opposants politiques très impopulaires notamment islamistes, il a continué à viser la société civile dans son ensemble, forçant beaucoup à l’exil ou à l’autocensure notamment des journalistes. Sur les trois dernières années, près d’une centaine de journalistes ont été arrêtés et harcelés en utilisant une loi contre les « fake news ».
Une politique de plus en plus raciste
Un tournant a été pris en 2022 par l’utilisation politique de la « crise » migratoire et du racisme anti-noirE. Surfant sur cette vague raciste et négociant des accords avec l’Europe de délégation de la police aux frontières, Kaïs Saïed a développé sa propre version de la théorie du grand remplacement. Le harcèlement des personnes noires — présentes légalement ou non sur le territoire — s’est multiplié et de véritables pogroms ont eu lieu. Les reconduites à la frontière dans le désert et les expéditions pour aller en Europe depuis la Tunisie ont transformé ses frontières en un cimetière marin et terrestre.
Malgré les risques d’arrestation, un certain nombre de militantEs, d’avocats et de journalistes continuent de défier et de s’opposer à Kaïs Saïed. Les possibilités — réduites — de manifester sont toujours utilisées pour contester son pouvoir. Plusieurs manifestations ont eu lieu contre la future mascarade électorale avec pour slogan « le pouvoir d’un pharaon et les résultats d’une tortue ». Une partie de la société civile s’est regroupée dans un Réseau tunisien pour la défense des droits et libertés. Renouveler la tradition de défense des droits de la lutte dans la rue, dans les quartiers et la contestation de la propagande raciste de Kaïs Saïed, sinon le retour aux années sombres du benalisme sera la seule perspective.
Édouard Soulier