Deux assassinats politiques ont eu lieu en moins de six mois : Chokri Belaïd, un des principaux dirigeants du Front Populaire, assassiné le 6 février 2013, et Mohamed Brahmi, élu à l’Assemblée constituante et dirigeant du Front Populaire, assassiné le 25 juillet 2013. Le gouvernement islamiste en est jugé responsable et les mobilisations contre sa principale composante, Ennahdha, se poursuivent...
Mais la question de l’alliance avec Nidaa Tounes – un parti de droite qui regroupe les anciens Benalistes – dans un Front de salut national (FSN) contre Ennahdha tend les débats au sein de la gauche rassemblée dans le Front populaire (FP). Cet article exprime un point de vue sur ces débats. Ainsi la section Île-de-France du FP a récemment publié un communiqué dans lequel elle prend position contre une telle alliance. En Tunisie, c’est depuis plusieurs mois que ce débat se poursuit et commence à générer une crise au sein de différents partis.
Immédiatement après l’assassinat de Chokri Belaïd, des dirigeants du FP se réunissaient avec des dirigeants des partis de droite pour établir une plateforme commune « contre la violence ». La première conséquence de cet appel à l’unité nationale a été l’affaiblissement des mobilisations sociales. Cette plateforme contre la violence a rapidement évolué et c’est sur sa base que, suite à l’assassinat de Mohamed Brahmi, le FSN a été créé. Les revendications de ce front étaient initialement la dissolution de l’Assemblée nationale constituante élue en octobre 2011 et dominée par Ennahdha, ainsi que toutes les institutions qui en émanent ; la constitution d’un gouvernement « neutre » et l’organisation rapide d’élections.
Des clarifications en cours
En plus de la présence de figures de l’ancien régime dans ce FSN, à commencer par Béji Caïd Essebsi qui était ministre de l’intérieur sous Bourguiba et président de l’Assemblée nationale sous Ben Ali, les militants du FP qui s’opposent à ce Front en dénoncent la nature interclassiste et l’impossible « neutralité » d’un gouvernement. Ces militants se sont pour la plupart repliés sur des activités militantes locales plutôt que sur l’organisation de ce front large. C’est pour cette raison que lorsque Nidaa Tounes a organisé et financé un sit-in au Bardo, devant le siège de l’Assemblée, cet espace a essentiellement été occupé par des franges de la petite-bourgeoisie tunisoise.
D’ailleurs, cette mobilisation organisée par la droite a fini par s’estomper. La dissolution de l’Assemblée constituante n’est plus à l’ordre du jour, les négociations s’éternisent, on ne parle plus que de dissolution du gouvernement et même cette perspective s’éloigne. Les élus de Nidaa Tounes ont regagné leurs sièges à l’Assemblée constituante et Caïd Essebsi multiplie les rencontres avec Rached Ghannouchi d’Ennahdha et se félicite du terrain d’entente qu’il commence à trouver avec ce dernier. La direction de l’UGTT a d’ailleurs contribué à « l’apaisement » de la situation en s’opposant à la revendication de dissolution de l’Assemblée constituante, en appelant de nouveau au dialogue national et en jouant le rôle de médiateur entre le gouvernement et l’opposition.
La multiplication des occasions manquées pour amplifier les mobilisations a donc fini de décider des militants du FP dans plusieurs villes à se regrouper sur une base d’indépendance de classe. L’accumulation d’expériences de lutte et d’organisation depuis janvier 2011 aboutit aujourd’hui à un début de décantation et de clarification politique nécessaires. L’indépendance et la centralité de la classe ouvrière finissent par s’imposer dans les débats politiques, tant elles semblent incontournables pour de nombreux militants.