Publié le Vendredi 15 octobre 2010 à 15h33.

Une Europe en crise, une extrême droite en regain

L'Europe est en crise et nous assistons à l'une des pires offensives antisociales de l'histoire récente. La crise est utilisée comme prétexte pour justifier et appliquer l'agenda «maximal» du néolibéralisme. Jusqu'à présent, face à ces attaques, la réaction des organisations politiques et sociales de gauche est restée relativement timide, comme si elles étaient assourdies par le choc d'un cauchemar qui semble sans fin.

Et l'extrême droite ? À quelques rares exceptions près, la crise a éclaté dans un contexte de recul généralisé de la gauche sur tout le continent, tandis que, parallèlement, depuis déjà plus de deux décennies, des formations néo-populistes de caractère totalitaire et xénophobe émergent. Depuis la montée du Front national français aux élections européennes de 1984, il s'est confirmé que le FN n'était pas une exception mais bien l'avant-garde d'une nouvelle extrême droite européenne. À la faveur de la crise actuelle et en l'absence d'une alternative de gauche crédible, cette droite extrême gagne non seulement en force, en visibilité et en poids électoral dans de nouveaux pays, où elle entre pour la première fois dans des parlements, mais en outre, elle se renforce et se consolide également là où elle avait déjà acquis des positions importantes.

Une analyse de l'ensemble de l'extrême droite et de ses résultats les plus récents semble indiquer qu'elle a su, mieux que d'autres forces, traduire l'inquiétude et la protestation contre la crise et l'actuel modèle de construction européenne. Lors des dernières élections européennes, c'est elle qui a connu la plus forte progression électorale, obtenant 37 eurodéputés. Dans toutes les élections qui ont suivi, cette progression a été confirmée : aux élections législatives hongroises d'avril dernier, le parti Jobbik a obtenu 17% des votes. Aux élections régionales françaises du mois de mars, avec 11,6%, le FN a connu une spectaculaire remontée électorale après son échec aux législatives de 2007 (4,29%). En Autriche, le FPÖ a obtenu 16% aux élections présidentielles, devenant le second parti ayant le plus de votes. En Italie, la Liga Norte est le parti le plus voté du nord du pays, avec 2,7 millions de suffrages. Aux Pays-Bas, le Parti de la liberté a consolidé ses bons résultats électoraux au scrutin européen, en obtenant aux législatives de juin dernier 17% des votes, passant de 9 à 24 députés et devenant désormais la troisième force politique dans le parlement. Lors des dernières élections législatives, le Vlaams Belang a obtenu 12,5% des votes en Flandre. (Le Vlaams Belang constitue une sorte d'exception dans le spectre de l'extrême droite européenne puisqu'il connaît un recul important depuis au moins deux élections, mais il maintient toutefois une base électorale de masse. NDT)

À cette liste, on peut également ajouter le succès du British National Party anglais, qui a obtenu deux eurodéputés ou encore le LAOS grec, avec 6% des votes et 15 élus aux législatives de décembre 2009. En Scandinavie, le Parti du peuple danois (DF) est, depuis 2001, l’indispensable soutien parlementaire du gouvernement libéral-conservateur, tandis qu'en Norvège, le Parti du progrès (FrP) est le deuxième parti du pays. Le résultat électoral le plus récent et notable de l'extrême droite est celui réalisé par les « Démocrates suédois » qui ont obtenu 20 sièges avec 5,7% des votes aux législatives du 21 septembre dernier.

Une telle liste ne peut générer qu'un sentiment d'intense inquiétude car elle indique clairement une tendance au renforcement et à la consolidation d'une extrême droite qui, dans la majeure partie de l'Europe, réussit à capitaliser un vote protestataire contre l'insécurité sociale et économique. D'autant plus que cette montée n'est pas contre-balancée — et s'explique ainsi en partie — ou disputée par une montée équivalente des forces anticapitalistes.

En outre, le succès de l'extrême droite ne se limite pas au seul terrain électoral ; elle obtient également des succès importants dans le domaine idéologique, en imposant à l'agenda politique ses thématiques et ses orientations puisque les grandes formations politiques conservatrices et social-libérales européennes s'imprègnent, par contamination et par intérêt électoraliste, de plus en plus de ses discours. Ce processus a été désigné en France sous le nom de « lepénisation des esprits ».

Toutes ces organisations d'extrême droite, malgré toutes les différences entre elles qui sont le produit de contextes politiques, sociaux et économiques divers, ont des caractéristiques communes qui permettent de parler d'une véritable rupture avec les paradigmes du fascisme classique de la période de l'entre-deux guerres. On assiste à l'émergence d'une extrême droite du XXIe siècle, néo-populiste et xénophobe.

Inmigration et xénophobie

L'un des principaux traits définissant cette nouvelle extrême droite est l'exaltation de la xénophobie, la peur et la haine de l'étranger pauvre et « différent ». Le national-populisme, élément idéologique clé des nouvelles formations d'extrême droite, est une lecture schématique et manichéenne de la réalité, aisément compréhensible et dans laquelle prédomine la figure d'un ou plusieurs boucs émissaires et agents « anti-populaires » et anti-nationaux qui seraient à la racine des maux dont souffre la « communauté nationale ». Tandis que le fascisme classique élaborait un discours reposant en grande mesure sur l'exploitation des boucs émissaires et des « conspirations » judéo-maçonniques et communistes, les nouvelles organisations d'extrême droite font de l'immigration en général le bouc émissaire des maux de notre société.

La rencontre entre nationalisme, populisme et xénophobie s'est transformée en une recette politique à succès en vertu d'une série de conditions favorables. L'augmentation généralisée du chômage et l'immigration en Europe depuis les années 1970 à 1990 ont créé un climat propice à l'extension des discours xénophobes. La concurrence, au lieu de la coopération, entre les travailleurs « de souche » et ceux d'origine immigrée pour des ressources de plus en plus réduites (travail, logement, prestations sociales, etc.) dans un climat de récession économique et de démantèlement de « l'État-providence », tout cela a favorisé l'extrême droite, lui permettant d'avancer des réponses simplistes à des problèmes complexes. Le traditionnel « ennemi extérieur » — le communisme — a été remplacé par un nouvel ennemi, cette fois-ci intérieur ; l'immigration.

Les « immigrés », du moment qu'ils soient pauvres, sont présentés par l'extrême droite comme le nouvel ennemi de l'Europe du XXIe siècle. Tout en niant le droit universel des personnes à chercher un avenir plus digne, les immigrés sont représentés comme des « parasites » qui viennent voler nos richesses et accaparer les maigres prestations sociales d'un État-providence en déliquescence. L'extrême-droite exploite de manière populiste la peur de l'étranger, de la différence, exalte une supposée primauté nationale pour les « autochtones » et dénonce les autres partis comme étant favorables à ces immigrés. En 1992, le slogan du FN français aux élections présidentielles l'énonçait clairement : « Ils préfèrent les étrangers. Nous préférons les Français. Votez Français ».

Le succès de l'extrême droite ne peut pas seulement se mesurer sur base de ses résultats électoraux ou de son accession au pouvoir comme dans les cas italien, autrichien, roumain, polonais ou suisse. Il faut surtout prendre en compte le fait qu'ils sont parvenus à imposer sur l'agenda politique européen les questions de l'immigration et de l'insécurité comme étant des « problèmes fondamentaux ».

Ainsi, comme le souligne le politologue Piero Ignazi, l'exploitation habile de la thématique de l'immigration a permis à l'extrême droite d'atteindre un vaste consensus entre des secteurs sociaux hétérogènes, en s'adressant à la population en termes de « valeurs » et « d'identité », et non plus en termes d'intérêts économiques ou de classe. Cette stratégie leur a permis de dépasser les frontières sociales qui, il y a à peine deux décennies, semblaient insurmontables et, depuis plusieurs années, leur succès influence les partis conservateurs classiques, en plein processus d'adaptation aux discours xénophobes. Pour leur part, les partis sociaux démocrates convertis au social-libéralisme ont également abdiqué et cédé aux sirènes xénophobes, en appliquant des politiques régressives par rapport aux droits fondamentaux, pavant ainsi la voie à la consolidation et à l'extension des options politique d'extrême droite.

L'islamophobie

Il existe dans le discours xénophobe contre l'immigration certaines différences. On assiste ainsi à une montée importante de l'islamophobie ; tous les immigrés ne sont pas haïs de la même manière par l'extrême droite. À la fin de la Guerre froide, les puissances occidentales, États-Unis en tête, avaient besoin d'un nouvel ennemi mondial pour remplacer le communisme et ce fut l'Islam. On a ainsi élaboré tout un discours qui nous présente le monde musulman comme un tout homogène et atavique, incapable de progresser vers la modernité, à l'opposé d'un Occident — ou d'une partie de l'Occident — présenté comme seul digne représentant de la « civilisation ». Des théories telles que le « Choc des civilisations » de Samuel P. Huntington, qui jouit d'une grande influence parmi les néo-conservateurs aux États-Unis, définit ainsi la culture musulmane : « Partout, les relations entre les musulmans et les personnes d'autres civilisations ont été en général antagonistes ; la majorité de ces relations ont été violentes dans le passé et une partie a été violente dans les années 1990. Où que nous portions notre regard tout au long des frontières de l'Islam, les musulmans ont des problèmes à vivre de manière pacifique avec leurs voisins (…). Les frontières de l'Islam sont sanglantes, tout comme le sont ses zones et territoires internes ».

La construction de l'Islam comme nouvel ennemi mondial, tout particulièrement à partir des attentats du 11 septembre 2001, a généré un climat favorable pour les organisations d'extrême droite, qui ont commencé à alimenter et à exacerber le discours islamophobe dominant. Ainsi, la nouvelle extrême droite ne justifie plus son aversion envers les musulmans en termes racistes ou « biologiques », au nom de la « supériorité d'une race sur une autre », mais bien en termes culturels et identitaires. La « préférence nationale » ne s'applique plus seulement sur le terrain du travail ou des droits sociaux, elle est élargie au domaine culturel. Cela permet à l'extrême droite de présenter la religion musulmane comme étant radicalement incompatible avec les « valeurs et l'identité européennes » car elle subvertirait ses traditions, sa culture et ses racines. En outre, cela lui permet de brouiller les pistes en instrumentalisant des arguments « progressistes » dans les débats sur le foulard ou le niqab, tout en assimilant purement et simplement l'Islam avec le terrorisme, comme le fait Geert Wilders, leader du parti islamophobe hollandais dans son documentaire « Fitna » (le Calvaire).

De plus, la majorité de ces partis lient étroitement la communauté musulmane avec la croissance de la criminalité et de l'insécurité urbaines. C'est notamment le cas du Vlaams Belang, dont le rejet de l'immigration se concentre essentiellement à l'encontre des musulmans qui sont collectivement rendus coupables du trafic de drogues et de l'insécurité urbaine.

Miguel Urbán Crespo (Viento sur)