La crise politique italienne s'entremêle de manière évidente à la Crise économique internationale qui dure maintenant depuis plus de deux ans. Et pourtant ce fait qui saute aux yeux est totalement évacué du débat politique par des analyses qui se concentrent sut les tempéraments des protagonistes, sur leurs contacts personnels et laissent dans l 'ombre les aspects structurels de la Crise.
La crise économique en revanche est si envahissante et structurelle qu'elle ne manque pas d'avoir de pesantes retombées sur les équilibres politiques et se transforme elle-même en crise tout à la fois politique et institutionnelle. Il suffit de considérer les difficultés du président Obama qui, après une victoire triomphale il y a moins de deux ans , risque aujourd'hui de perdre la majorité au Congrès. La situation française elle aussi a un déroulement analogue, avec un Sarkozy lui aussi élu triomphalement en 2007 et qui se retrouve aujourd'hui au niveau le plus bas de sa popularité. La crise politique est donc bien fille de la crise économique.
Le gouvernement Berlusconi a remporté les élections de 2008 avant tout grâce à la faillite du centre-gauche. En termes absolus, les suffrages récoltés par le centre-droite ne sont même pas comparables à ceux atteints par lui au moment le plus élevé du berlusconisme en 2001.
Et pourtant, grâce à une loi électorale caviardée, Berlusconi a pu jouir d'une ample majorité parlementaire. Celle-ci a été utilisée plutôt efficacement dans une direction précise: attaquer à la racine le mouvement ouvrier en minant des conquêtes fondamentales ( le statut des travailleurs), en réduisant le salaire réel (contrats d'Emploi public), en redistribuant les ressources vers les secteurs de référence du centre-droite (PME, professions libérales, pratiquants de la fraude fiscale, grands patrimoines, les banques et la finance) et en menant à travers le fédéralisme fiscal une politique de dénaturation du Pacte social qui a régi ce pays depuis l'après-guerre.
La crise a mis ce programme en débat, ou a fait resurgir à tout le moins des projets divers, des intérêts différents et des contacts politiques qui ont été ramenés à l 'essentiel. Le coeur du discours de Fini à Mirabello et de sa prise de distance vis-à-vis de Berlusconi, ce n 'est pas la Justice (en fait un nouveau « bouclier judiciaire » a été promis à ce dernier) , mais l'économie. Fini a défendu la fonction publique (au travers des Forces de sécurité et de l 'Ecole publique), le Sud de l'Italie, une politique industrielle basée sur le compromis entre Capital et Travail , il a critiqué la manoeuvre de Tremonti. Le conflit de fond porte donc sur l'analyse de la Crise et les voies à suivre pour en sortir. Dans ses affrontements, le centre-droite montre ainsi ses limites et toute sa crise.
Berlusconi a réussi à composer une sorte de «bloc social» au cours de ses quinze ans de vie politique : PME du Nord, économie illégale du Sud , commerçants, professions libérales, fraudeurs fiscaux, mais aussi sous-prolétariat assisté, jeunes en précarité et électorat âgé. Mais il l'a fait sans les impliquer dans une vision économique et sociale commune de leurs différents intérêts. Il a juxtaposé ces différents secteurs dans un conglomérat dont le liant a été, avec la rhétorique et la propagande, la force idéologique de son personnage médiatique. Le Berlusconisme agrège un Bloc social qui de toutes manières, dès l'instant où il se trouve piégé et érodé par la crise, remet en question la propagande et la rhétorique.
Fini aujourd'hui se propose de représenter une partie de ces secteurs dans un projet qui vise, au delà de Berlusconi, à définir les horizons d'un nouveau centre-droite. L'hypothèse d'un Troisième Pôle est de même, plus qu'un projet stratégique, un passage pour reconstruire une force conservatrice et libérale alternative au centre-gauche et adéquate aux besoins des classes dominantes.
La crise a évidemment une répercussion sur ces dernières, les puissances telles que la Cofindustria (Confédération patronale italienne, NDLR), les banques, le Capital financier. Aujourd'hui aucune ne sait s' il faut encore miser sur le gouvernement Berlusconi qui affiche une claire détermination à écraser le travail salarié – voir la manoeuvre Tremonti ou la controverse FIAT – ou s' il faut au contraire construire des équilibres différents. Si Emma Marcegaglia continue à peser en faveur des équilibres actuels , Luca Cordero de Montezemola cherche une nouvelle solution. Les divergences entre les deux derniers présidents de la Cofindustria est au fond emblématique de cette incertitude. Le problème est que malgré ses cafouillages et son usure, - la crise mettant en évidence que le berlusconisme n' a rien à offrir - Berlusconi jouit encore d'un fort consensus social et son alliance avec la Ligue du Nord est une garantie pour lui d 'une possibilité de victoire.
Tout cela rend la situation incertaine, mais en tout cas, même dans l 'incertitude, l'offensive contre les travailleurs et les travailleuses se poursuit sans hésitations. La FIAT a profité de la période de crise et des peurs du monde du travail pour régler son compte au contrat national d 'emploi et à l 'obligation de traiter des conditions de travail dans l'entreprise avec le syndicat. Le gouvernement soutient cette stratégie avec son projet de réforme du Statut des travailleurs. L'attaque contre l'emploi public – en premier lieu dans l'enseignement – a ouvert le chemin.
Tout cela aide à mieux mettre en lumière la situation politique: la crise du gouvernement, de laquelle on peut évidemment se réjouir, ne s'accompagne pas d'une crise de l'ordre dominant, celui-ci au contraire tend à se renforcer.
Il est évident que la situation offre la vision d'une opposition totalement inadéquate, tant parlementaire qu'extraparlementaire. La confusion et l'indécision du PD (Parti Démocrate) expriment non seulement ses divisions internes irréversibles mais la pleine appartenance de ce parti au cadre de la Crise. On ne peut oublier qu'à l'occasion du vote parlementaire sur le programme de «sauvetage» de la Grèce, programme constituant la plus dure attaque jamais subie par les travailleurs de ce pays, c'est le PD qui s'est le plus battu pour un vote favorable à ce programme.
Ce zèle européiste, rigoriste et pro-patronal appartient désormais à son ADN. Il ne faut donc pas s'étonner que l'ex-ministre du gouvernement Prodi , Padoa-Schiappa ait déclaré à l'émission « Sole 24 Ore» qu'il y avait une continuité entre la politique économique de Tremonti et celle du gouvernement de centre-gauche.
Mais au delà de l'inconsistance et des complicités de l'opposition de centre-gauche, la période se caractérise par une réelle régression des principales forces syndicales. La CISL (démocrate-chrétienne) et la UiL (d'origine social-démocrate) sont désormais directement asservies à la logique patronale et aux intérêts de la grande industrie, et la CGIL (historiquement liée à l'ancien Parti communiste, NDLR) cherche à courir après cette politique, mais avec une opposition interne qui mise avant tout sur la capacité de résistance de la FIOM (Fédération italienne des Ouvriers Métallurgistes). Celle-ci tient ferme sur le conflit avec FIAT et dans l'opposition à la stratégie patronale même si c'est essentiellement au niveau local. Malgré des incertitudes ou des oscillations, elle demeure un point névralgique de la résistance de classe.
Les espaces pour la relance d'un syndicalisme alternatif basé sur la représentation réelle, la démocratie et la confrontation sont donc amples. Le même syndicalisme de base a une nouvelle opportunité qu'il ne semble pourtant pas à présent en mesure de saisir, pour des motifs complexes et multiples. Notre soutien à son combat reste ferme, conscients pourtant qu'un changement de démarche s'impose .
Si la crise économique se traduit en crise politique, la tâche centrale de la période consiste à construire une résistance à celle-ci et à tracer une perspective pour en sortir. La voie fondamentale de cette perspective, c'est celle de l'unité des luttes, de la recomposition sociale -à partir des immigrés comme partie intégrante du nouveau prolétariat – , de la définition d'une plate-forme unitaire qui vise à faire payer la crise à ceux qui l 'ont provoquée.
S'attaquer aux profits et aux rentes, aux nouvelles rigidités dans l'organisation du travail, pour la régularisation du travail précaire, des droits nouveaux et plus avancés, notamment les droits sociaux, pour la défense écologique du territoire, le contrôle public des rouages essentiels de l'économie et des ressources communes , à commencer par l'eau, la défense des droits des immigrants. Unir les luttes contre la crise demeure notre objectif à cette étape.
Pour ce faire, nous travaillerons dans les prochains mois à renforcer les coordinations des luttes, y compris avec les initiatives autoconvoquées, à construire des comités unitaires de lutte contre la crise, à faciliter les rapports unitaires entre les différentes gauches syndicales comme entre protagonistes divers, par exemple les étudiants et les travailleurs précaires en formations. La manifestation du 16 octobre est une occasion dans ce sens, même si actuellement, les formes d'organisation de la manifestation elle-même ne semblent pas exploiter cette possibilité. Nous croyons que cette échéance, rendez-vous central, doit avoir un lendemain: la présence dans la rue le 16 octobre sera d'autant plus utile qu'elle donnera vie à des organismes unitaires pour une résistance commune à la Crise, aux attaques du gouvernement et du patronat.
Un second rendez-vous central de l'automne est fixé pour la préparation du référendum sur l'eau; il verra le mouvement référendaire se réunir à Florence les 17 et 18 septembre. Sinistra Critica est pleinement intégrée dans cette bataille à travers les structures du mouvement, tant des Comités que du Forum national , qui demeurent les lieux de décision rassemblant les personnes en charge de la contestation. Pour appuyer cette lutte, nous oeuvrerons dans les prochains mois à une convention à caractère international qui servira à mettre à l'épreuve notre identité écologiste, partie constitutive de notre mouvement politique.
Sur le plan strictement politique, la prochaine étape pourrait déboucher sur des élections anticipées. La Ligue du Nord le veut, Berlusconi ne les dédaigne pas, même si la peur de perdre et les sondages le rendent prudent. Le paradoxe, c'est que c' est l'opposition qui les redoute le plus, alors qu'elle ne réussit pas à capitaliser la crise aigüe du centre-droite et ses convulsions à ciel ouvert. Une fois de plus, le centre-gauche expose au grand jour son inadéquation dans le paysage politique.
Le PD repropose aujourd'hui un nouvel «Olivier» comme force motrice d 'une nouvelle coalition. Celle-ci pourrait embrasser non seulement l'UDC (Union démocrate chrétienne) mais aussi le nouveau parti de Gianfranco Fini, perspective totalement défensive et politicienne dont le contenu social est en continuité directe avec les expériences de gouvernement précédentes du centre-gauche.
Les perspectives que se donnent les forces de la soi-disant « gauche radicale», une OPA sur le PD version Vendola ou le « désistement» de la Fédération de la Gauche ont comme résultat flagrant d'avaliser ce cadre politique, de sanctionner la formule de centre-gauche dans sa version « alliance démocratique» comme la seule qui soit en mesure de débloquer la situation. De cette façon , ils se lient les mains et se condamnent à une évidente marginalité politique.
Selon nous, la perspective qui demeure actuelle, si fragile qu 'elle puisse apparaître, c'est celle d'une Gauche de classe, capable d'offrir une autre option que celle du PD et du Centre gauche. C'est celle d'une gauche anticapitaliste qui possède quelques caractéristiques simples :
- sa propre extériorité par rapport à la coalition « démocratique» sous hégémonie du PD .- un programme radical de sortie de la crise débarrassé des résidus, ou pire, de la nostalgie du passé qui imprègne encore une partie des classes de la gauche italienne.- un programme qui en revanche offre des solutions innovantes, capables d'exercer un attrait sur les mouvements sociaux, les comités de lutte et par dessus tout, sur de nouvelles générations plus ouvertes à la résistance sociale et à un projet alternatif.
Dans l'éventualité d'élections politiques anticipées, et en tout cas en prévision des élections administratives du printemps prochain, nous entendons oeuvrer à la mise en place d'une liste anticapitaliste qui possède ces caractéristiques. Brandir le petit drapeau de Sinistra Critica ne nous intéresse pas, pas plus que de proclamer «urbi et orbi » notre participation électorale autonome. Nous voulons enclencher un processus qui débouche sur un projet attractif, innovant, utile à la confrontation, animé par les conflits et les jeunes générations. C'est sur un tel programme que nous nous adresserons aux forces politiques disponibles pour réaffirmer une fois encore que nos vies valent plus que leurs profits !
Septembre 2010Traduction de l'italien: Mathieu Desclin pour www.lcr-lagauche.be