Publié le Vendredi 17 novembre 2017 à 14h18.

Face au « Plan logement  » du gouvernement Macron

La question a été mise sur le tapis de façon spectaculaire et brutale en plein été, par l’annonce faite de la baisse des APL de 5 euros par mois. Provocation  destinée à préparer l’offensive, à préparer les esprits à la réalité des intentions du gouvernement…

L’économie réalisée par cette mesure, 32,5 millions d’euros par mois, est dérisoire mais affecte quand même 6,5 millions de ménages dont 800 000 étudiants. Ce signal donné d’une offensive contre les moins fortunés a eu un coût politique très négatif pour le gouvernement, qu’il a tenté d’amoindrir en annonçant une réforme plus large et plus fondamentale de l’ensemble de la politique du logement. Celle ci a été présentée le 20 septembre sous la forme d’un « plan logement » qui devrait être suivi d’une loi en fin d’année.

La baisse de cinq euros de toutes les APL a été confirmée. Elle se poursuivra en 2018 et pourra être augmentée par simple décret du gouvernement. Mais elle s’est accompagnée de l’annonce d’une baisse du montant des APL versées aux bailleurs sociaux, de l’ordre de 50 euros, sans modification des loyers payés par le locataire.

Le gouvernement considère, avec nombres d’économistes libéraux, que les aides aux logement directement perçues par les propriétaires ou les bailleurs sont des incitations à la hausse des loyers. En effet, les propriétaires établiraient leurs loyers en fonction de l’APL, ce qui aurait une logique inflationniste. Jacques Mézard, le ministre en charge du logement, argumente en affirmant que « quand on met un euro de plus sur l’APL, ça fait 78 centimes de hausse des loyers »

Cette affirmation reste à démontrer. En effet, depuis les années 2000, les loyers augmentent plus vite que les aides perçues par les locataires. Et a contrario, rien ne dit que la baisse des APL va entrainer une baisse des loyers. D’autant que le gouvernement n’a rien imposé aux bailleurs privés, qui vont continuer à percevoir l’APL à un niveau supérieur à celui des bailleurs sociaux (8,5 milliards d’euros pour les bailleurs privés, contre 8,2 milliards pour les bailleurs sociaux), alors qu’ils sont directement responsables de la hausse des loyers. L’appel de Macron demandant aux propriétaires de baisser les loyers de cinq euros a immédiatement été contré par ces derniers.

 

Une ponction sur les locataires

Le gouvernement lorgne sur la cagnotte de certains bailleurs sociaux, les « dodus dormants », qui ont de la trésorerie ; des bailleurs qui encaissent les loyers et ne réinvestissent pas en rénovation ou en construction. Depuis longtemps déjà, les gouvernements successifs ont fait pression sur eux pour récupérer ces fonds. Sarkozy avait tenté de les taxer. Hollande a obtenu la signature en 2014 d’un accord de compensation entre les bailleurs fortunés et ceux qui le sont moins, 340 millions d’euros par an sur trois ans, pour corriger cette situation. Jacques Mézard parle quant à lui de 30 milliards d’euros de trésorerie et d’une ponction possible de 1,4 milliard. Mais ces bailleurs ne se situent pas dans les zones tendues des grandes agglomérations et en général ne sont pas des offices publics. 

Si le ministre évoque de possibles compensations, en discussion, la réduction des APL ne vise pas à améliorer la situation des organismes HLM. C’est juste une ponction sur l’argent des locataires, pour boucler le budget 2018 sur leur dos. Ce faisant, elle risque de fragiliser les bailleurs les plus pauvres qui logent souvent les populations les moins fortunées, en remettant  en cause les réhabilitations, les rénovations, les constructions neuves.

C’est une attaque sans précédent contre le logement social, faite avec désinvolture tant les conséquences ont été si peu étudiées. Des questions se posent immédiatement : y aura t-il augmentation des loyers des locataires ne touchant pas d’APL ? Les bailleurs sociaux ne vont-ils pas préférer des locataires sans APL (ce qui est déjà le cas) et du coup aggraver l’exclusion du logement des plus pauvres ? Quelles conséquences sur les salaires des personnels des bailleurs ? Autant de problèmes qui pour le moment sont sans réponse ou balayés par un premier ministre qui prétend que cette ponction sera sans effet sur les locataires. Evidemment, les locataires seront au bout du compte impactés par ce qui va fragiliser leur bailleur.

Plus largement l’USH, Union sociale pour l’habitat, qui regroupe l’ensemble des bailleurs sociaux, a raison de dire que plus de 120 bailleurs HLM sont menacés de faillite par cette mesure, qui entraînera de fait une accélération du processus de concentration des bailleurs et une privatisation accélérée des OPH (offices publics de HLM). On reconnaît bien là l’objectif du gouvernement d’accélérer la remise en cause du système HLM qui existe en France depuis l’après-guerre.

Dans la même logique, le gouvernement a annoncé une accélération des ventes d’appartements HLM, l’objectif à atteindre étant de 40 000 logements par an, alors qu’aujourd’hui leur nombre tourne autour de 10 000. C’est un facteur supplémentaire de fragilisation des bailleurs, qui bien sûr vendront les appartements en meilleur état et les mieux situés, et du coup garderont les moins « rentables ». Par ailleurs, la vente de ces logement sociaux est souvent un leurre pour leurs acheteurs, qui se trouvent confrontés aux problèmes d’entretien du bâtiment et à une hausse brutale des charges. Les copropriétés sont alors fragilisées, incapables de faire face aux frais qui dépassent de très loin le niveau de revenu modeste de ses propriétaires occupants.

 Les organismes HLM, les associations des locataires se sont immédiatement mobilisés. Un appel « Vive l’APL » a été signé par 42 associations et l’USH, qui a tenu son congrès la dernière semaine de septembre, a rompu les négociations avec le gouvernement.

 

Des garanties aux capitalistes de l’immobilier

Dans le plan logement du gouvernement existent aussi toute une série de mesures qui ont moins fait la une mais ont une cohérence certaine : le maintien des prêts à taux zéro pour la construction neuve et celui de l’investissement Pinel1 jusqu’en 2021, qui seront simplement concentrés sur les zones tendues en demande de logement, deux mesures qui ont globalement rassuré les investisseurs immobiliers ; l’abattement fiscal sur les plus-values réalisées par la vente de terrains à bâtir, qui peut aller jusqu’à 100 % si la destination du terrain est du logement social ; l’annonce faite du « zéro nouvelles normes » dans la construction pendant tout le quinquennat ; la limitation des recours engagés contre des projets immobiliers… Autant de garanties données aux capitalistes de l’immobilier qui encaissent les avantages quand le logement social, lui, est fragilisé.

La volonté d’alléger, de simplifier le droit du travail trouve sa correspondance dans le discours sur la simplification des normes environnementales et sociales de la construction, comme si elles avaient été élaborées sans raison par simple entraînement bureaucratique. Celles-ci sont présentées comme des obstacles dont il faudrait se « libérer » : « on me dira que je ne respecte pas l’environnement, ou parfois le handicap, parfois ceci ou cela. Mais il faut du pragmatisme, car c’est essentiel pour résoudre le problème du logement », s’est justifié Macron. Comment mieux dire son intention de résoudre le problème par la perspective assumée du logement à deux vitesses, ne proposant plus les mêmes garanties pour le logement des plus pauvres ? De même, la proposition d’un bail « mobilité » de 1 à 10 mois non renouvelable et sans dépôt de garantie (assurée par l’Etat), destiné aux salariés en situation de mobilité, apparaît comme la réponse gouvernementale à la précarisation des contrats de travail. Travail précaire, salaire précaire, logement précaire, bail précaire, tout est dit.

Reste la question de l’hébergement d’urgence. Macron s’est déplacé à Toulouse pour annoncer la création de 50 000 places nouvelles en centres d’hébergement, une hausse de 10 % du budget du logement d’urgence, et la création de 40 000 logements « très sociaux » dans treize agglomérations. Il ne faut pas y voir une quelconque poussée progressiste. Il faut dire que la crise actuelle de l’hébergement d’urgence est telle qu’il ne fonctionne plus, tout en coûtant très cher. La faillite du 115 (dispositif d’hébergement d’urgence du Samu social) est avérée. Les nuitées d’hôtel gérées par celui-ci engraissent des hôteliers qui louent des chambres pour des familles à 2000 ou 3000 euros par mois, sans possibilité d’y vivre durablement et décemment (interdiction de cuisiner...). Evidemment, à ce prix, il est possible de gérer cette situation autrement, à moindre coût. Le gouvernement semble gagné au dispositif « Solibail », logements ou pensions dans le parc social dont le loyer « normal » est garanti au propriétaire par l’Etat avec une association faisant la médiation. Mais quelle garantie y a-t-il que ces promesses voient un commencement de réalisation ?

Macron et son gouvernement ont annoncé un « choc de l’offre » de logement pour faire baisser les prix et résoudre la crise. Mais la politique qu’ils mettent en œuvre a déjà été appliquée et on en connaît les effets : d’un côté, pression sur le logement social, sur les locataires à qui on fait porter l’essentiel de l’effort d’austérité ; de l’autre, ouverture des vannes aux spéculateurs immobiliers pour les inciter à construire. Sans contrainte, la loi du marché sur les sols et la construction immobilière va produire ce qu’elle a déjà produit, la hausse des prix, c’est-à-dire tout le contraire de ce qui est annoncé, ainsi que l’exclusion des plus pauvres des centres-villes et la poursuite de la crise du logement.

Jean-Marc Bourquin

 

  • 1. Prévoyant une défiscalisation pour les acquéreurs de logements neufs qui s’engagent à les louer pendant une certaine durée. Mesure votée sous Hollande – la « radicale de gauche » Sylvia Pinel ayant été ministre du logement dans les gouvernements Valls.