Entretien. Membre de Left Unity, Doug Thorpe est militant sur les questions de logement. Avec lui, nous revenons sur la colère et les mobilisations qui ont suivi l’incendie de la tour Grenfell à Londres.
Pourquoi cet incendie a-t-il provoqué une telle colère populaire ?
Il y a plusieurs raisons. La nature horrible de l’incendie et le nombre de personnes décédées : le nombre réel n’est pas encore connu et pourrait se compter par centaines. On a révélé très tôt que les résidents, par le biais du Grenfell Action Group, avaient dénoncé les risques pour la santé et la sécurité depuis des années, avertissements qui ont été ignorés par la Mairie (le propriétaire). Les leçons et les recommandations tirées des incendies précédents à Knowsley Heights, Liverpool et Lakanal House, Southwark, n’ont pas été prises en compte par le gouvernement. L’incrédulité absolue due au fait que des panneaux inflammables ont pu être utilisés sur une tour, alors que des ininflammables n’auraient coûté que 5 000 livres sterling de plus pour l’ensemble de l’immeuble. Et il y a plus de 600 immeubles dans le Royaume-Uni qui courent ce risque. Tout cela a joué un rôle dans la colère populaire.
Mais aussi, comme pour la campagne électorale du Parti travailliste de Jeremy Corbyn, il y a un sentiment populaire croissant au Royaume-Uni que l’austérité est allée trop loin, et que les plus pauvres sont sacrifiés pour les profits des promoteurs et des riches. C’est peut-être un tournant contre l’austérité en Grande-Bretagne.
Comment les différentes manifestations ont-elles été organisées ? Dans quelle mesure est-ce un effet spontané de l’incendie ou plutôt lié à la situation politique générale ?
Les manifestations du centre de Londres ont été appelées par la gauche traditionnelle, les campagnes de logement, les organisations pro-justice sociale et des communautés noires. Celles-ci étaient liées dans une large mesure à la situation globale. Mais la manifestation locale à la mairie de Kensington a été spontanée et suivie par des habitants qui dénoncent la responsabilité essentielle du Conseil municipal. Des manifestations ultérieures dans la localité ont été organisées par des résidents avec un niveau d’organisation croissant qui se concentre dans la campagne #Justice for Grenfell. Les militants pour le logement du réseau Radical Housing (dont Grenfell Action Group fait partie) ont également joué un rôle dans l’obtention d’informations sur la tour dans les médias sociaux et traditionnels.
La colère locale est de plus en plus tournée contre la situation globale, tout en maintenant une attention particulière sur l’échec criminel du Conseil municipal. Mais l’incendie de Grenfell nourrit maintenant le mouvement général anti-austérité. C’est le cas de la manifestation à venir ce 1er juillet, appelée par la People’s -Assembly Against Austerity (Assemblée populaire contre l’austérité), manifestation pour laquelle John McDonald, le « ministre des Finances » de Corbyn, a appelé un million de personnes à prendre les rues. La taille, le niveau de colère et le militantisme de cette manifestation seront alimentés par l’incendie de Grenfell et l’information croissante sur le nombre d’autres tours de logements sociaux dangereuses (à ce jour, chacune des tours ayant ces panneaux de revêtement, 60 jusqu’à présent, qui ont été testée, ont échoué aux tests...).
Des manifestations et des veillées en solidarité avec les victimes et les survivants de Grenfell ont aussi eu lieu dans de nombreuses villes britanniques.
Quelles sont les liaisons entre le rejet populaire de Theresa May autour de cette affaire et la condamnation plus générale de sa politique ?
La gauche, les jeunes et les communautés noires ont rapidement fait le lien. Il y a un débat plus complexe dans d’autres secteurs de la classe ouvrière. L’horreur et l’indignation face à l’incendie sont générales. C’est aussi la colère et le rejet de May, qui n’a pas voulu rencontrer les survivants de l’incendie, qui a provoqué l’indignation. Mais on ne voit pas encore clairement si cette colère va de façon globale s’intégrer dans un rejet de ses politiques d’austérité. Des signes l’indiquent, mais les médias de droite se mobilisent de plus en plus et suggèrent que le problème est le logement social (en particulier les tours), principalement occupé par des immigrés... Ce qui pourrait être utilisé comme argument supplémentaire pour l’épuration sociale des communautés ouvrières.
C’est tout à fait faux. Les riches vivent en toute sécurité dans des tours de plusieurs millions de livres, avec des matériaux sûrs, des réseaux d’extincteurs automatiques et des issues de secours. Les problèmes sont bien l’austérité et le néolibéralisme (privatisation, déréglementation des contrôles, etc.). Mais cet argument doit encore s’imposer. La popularité de Corbyn à la direction du Parti travailliste et des politiques qu’il défend constitueront un élément clé pour gagner ce débat, abattre le gouvernement de May, et renverser les politiques d’austérité et le néolibéralisme.
Quelle est la situation du logement à Londres (et ailleurs) ? Existe-t-il des structures permanentes de mobilisation ?
La situation du logement à Londres est en crise, en particulier pour les jeunes et les travailleurs. Il y a une pénurie critique de logements vraiment abordables. Le logement social est démoli et remplacé par des logements privés plus coûteux. Beaucoup de nouvelles propriétés sont achetées par des spéculateurs (un grand nombre venant de l’étranger) et laissées vides pour profiter de la hausse des prix de l’immobilier. Les loyers sont souvent supérieurs à 50 % du revenu d’un ménage.
Dans tout Londres, il existe des structures permanentes de campagnes sur le logement, souvent organisées sur une base locale ou sur le type de bail. Celles-ci sont de plus en plus coordonnées par le réseau Radical Housing.
Ailleurs, les questions varient. Dans le sud et dans certaines régions métropolitaines centrales, comme à Londres, le problème principal est la pénurie et les prix. Dans d’autres endroits, le Nord, le Pays de Galles, l’Écosse, d’autres problèmes – telles la vétusté et les restrictions des subventions de l’État – peuvent être plus importants. Dans les zones rurales, les riches étrangers peuvent acheter des maisons secondaires à des prix que les habitants locaux ne peuvent pas se permettre, ou des logements locatifs sont utilisés comme location de vacances, pour la plateforme Airbnb, au lieu d’habitations. Mais chaque secteur a toute sorte de problèmes de logement.
Il y a des campagnes sur le logement dans la plupart des villes, mais la coordination et le lien entre ces campagnes ne sont certainement pas développés en dehors de Londres.
Propos recueillis par Penny Duggan
Traduit par Laurent Duvin