Alors que le secteur de l’élevage est à l’heure actuelle le plus fervent défenseur d’une agriculture productiviste et qu’il a structuré le capitalisme moderne autour de ses intérêts, il n’est plus possible, au regard du consensus scientifique sur la sentience1 des animaux non humains, d’aborder l’agriculture sous les seuls aspects écologiques et économiques.
Nous souhaitons engager la réflexion sur ce que cachent les éléments de langages spécistes utilisés par l’ensemble de la filière de l’élevage.
Il n’est en effet pas possible pour un parti comme le NPA-l’Anticapitaliste, qui aspire à défaire l’ensemble des systèmes d’oppression et d’exploitation, de faire sienne une vision de l’élevage comme relation entre humain·es et animaux vidée de sa dimension coercitive et violente, alors que cette relation est un statut de propriété dans laquelle les humains sont les maîtres et possesseurs, et les animaux des individus relégués à l’état d’objet sans la moindre liberté de choix. Il n’est pas possible de dire qu’abattre un individu contre sa volonté et sans nécessité pourrait être en accord avec le fait de le respecter et de lui éviter des souffrances inutiles. Et enfin il n’est pas possible pour notre parti de considérer qu’un service public qui aurait pour mission de réaliser cette besogne serait compatible avec une société dépourvue d’inégalités sociales, comme si la tuerie de masse d’un groupe par un autre pouvait être dépourvue d’inégalités, qu’elles soient inter-espèces ou au sein même de l’espèce humaine.
Les abattoirs, une industrie qui se cache
En France 3 millions d’animaux sont tués dans les abattoirs chaque jour2. Cette violence est complètement occultée dans la vie quotidienne de la plupart des gens qui n’y travaillent pas, cela n’a pas toujours été si méticuleusement masqué. Si les publicités ou les étals de boucherie ne présentent que des images proprettes d’animaux vivants associées à des portions soigneusement découpées de leurs corps, c’est parce que l’industrie de l’élevage n’a aucun intérêt à ce que leurs chèr·es consommateur·ices soient exposé·es à la réalité brutale que l’on impose aux animaux. Car éprouver de l’empathie, capacité de nombreuses espèces dont la nôtre, permet de se solidariser avec d’autres individus en souffrance, qu’ils soient humains ou non, et de choisir de ne pas participer à un acte cruel exercé sur l’autre, au point de physiquement s’y opposer.
Jusqu’au début du 19e siècle, les animaux étaient tués dans les échoppes de bouchers, engendrant de nombreuses nuisances et problèmes sanitaires. Le sang des animaux s’écoulait dans les rues, les odeurs et les cris circulaient dans l’air ; parfois les animaux parvenaient à fuir, mettant en danger les passants. Pour ces raisons, et dans le contexte de la révolution industrielle, des abattoirs sont progressivement construits dans la capitale puis dans le reste du pays.
S’ils étaient d’abord en périphérie des agglomérations, les abattoirs en furent peu à peu éloignés à cause de l’urbanisation croissante et grâce aux capacités techniques de réfrigération, retardant la décomposition des cadavres. Aujourd’hui au nombre de 960 en France, les abattoirs sont isolés et cachés des regards dans les campagnes. Le rappel de leur existence se fait sur la route où nous croisons les camions qui s’y rendent à toute heure, transportant leurs futures victimes entassées dans des remorques à barreaux.
Une violence meurtrière exercée sur les animaux
Ces victimes viennent de toutes les filières de l’élevage. Que les animaux soient génétiquement sélectionnés et élevés pour leurs capacités de développement musculaire, pour leur sécrétion de lait après insémination, ou pour leur production d’œufs, tous sont destinés à une mort violente et prématurée. Car leurs capacités de production diminuent avec l’âge, et la rentabilité économique nécessite que l’on exploite leur corps dans leur entièreté. Leur mort est prématurée en comparaison des années qu’ils pourraient physiologiquement continuer à vivre. Elle est violente, pas uniquement par les conditions de leur mise à mort, mais simplement parce qu’elle leur a été imposée contre leur gré.
À leur arrivée tout d’abord, les animaux ne sont pas insensibles à leur environnement. Que ce soient les cris de leurs congénères ou les odeurs de sang et d’entrailles, ils comprennent que leur sort prochain est funeste et la détresse qu’ils éprouvent est visible. Ils hurlent, se débattent, certains d’entre eux parviennent à s’enfuir. Parfois même en chemin, pour échapper aux conditions horribles dans lesquelles ils sont transportés. Ils sont malheureusement souvent rattrapés et réintégrés dans la machine.
Une fois à l’intérieur, plusieurs sévices leurs sont infligés suivant la réglementation officielle de « protection des animaux »3. Et leur intégration dans la chaîne de production se fait de leur vivant. Au prétexte de limiter les souffrances lors de leur mise à mort, on peut les électrocuter, les asphyxier au dioxyde de carbone, leur perforer le crâne avec un vérin pneumatique puis les pendre à des crochets plantés dans leur chair avant de les égorger pour les vider de leur sang. Aucune de ces pratiques n’est indolore et ne permet de garantir la mort instantanée. Une garantie d’autant moins certaine que les cadences sont faramineuses. En moyenne, un abattoir tue en effet 45 vaches ou 840 porcs par heure4.
Leurs dépouilles sont alors préparées et conditionnées pour rejoindre nos magasins, hypermarché comme boucherie artisanale.
Une violence sociale, physique et psychologique exercée sur les humain·es
Si la violence imposée aux animaux est la plus évidente lorsqu’on évoque les abattoirs, celle qui est subie par les travailleuses et travailleurs de ces usines à tuer restent souvent dans un angle mort. Car ce sont bien des usines, bruyantes, sales et puantes, dont la production se fait à la chaîne, soumettant les individus qui la font tourner à une cadence infernale. L’enseignement que nous a transmis le mouvement ouvrier nous permet de dire que de telles conditions de travail sont terriblement aliénantes et usantes physiquement. Les statistiques montrent que 9 travailleuses et travailleurs d’abattoirs sur 10 ont souffert de trouble musculo-squelettiques et qu’à un poste d’abattage, le risque d’accident du travail est 4 fois supérieur à la moyenne nationale.
Mais on oublie aussi que l’acte de tuer est en lui-même source de souffrance psychologique. La détresse que vivent les employé·es des abattoirs se traduit par de nombreux troubles tels que l’anxiété, la paranoïa, la dissociation ou la dépression5. Ils et elles subissent également un stress post-traumatique important, dont les symptômes sont identiques à ceux que des militaires peuvent subir après avoir tué ou infligé des souffrances à d’autres personnes.
Isolés des centres urbains ou des sites industriels, les abattoirs sont aussi isolés des organisations syndicales. Ce sont des usines qui ont un taux de turn-over extrêmement élevé et qui ont recours à l’intérim, à des personnes immigrées et souvent sans-papiers. Ces personnes dont les capacités à s’organiser sont sapées par leur précarité, leur méconnaissance de la législation ou de la langue du pays en sont exploitées d’autant plus violemment6.
Fermons les abattoirs, convertissons les emplois
Si au cours d’un processus révolutionnaire, nous sommes en mesure d’imaginer la réorganisation de certains secteurs industriels nécessaires à la société pour en exclure l’exploitation violente, l’activité meurtrière même des abattoirs en font une filière à abolir complètement.
Les abattoirs sont un lieu charnière des systèmes d’exploitation que sont le spécisme et le capitalisme. On oblige un groupe à en massacrer un autre. Les massacrés le sont sans nécessité. Notre alimentation ou nos vêtements ne nécessitent pas de produits d’origine animale, du moins pas dans nos pays riches. Les employé·es des abattoirs y travaillent par nécessité économique, et fuient le lieu dès que possible avec de terribles séquelles.
Comment pourrions-nous dans notre projet que l’on considérerait communiste, tolérer que des individus soient tués et que d’autres individus soient forcés de mener la sale besogne afin de servir les intérêts d’un groupe social, par définition dominant ?
C’est pourquoi nous devons revendiquer et œuvrer à la fermeture des abattoirs et la conversion des emplois vers des secteurs utiles qui ne nuisent ni à la planète, ni aux humains, ni aux autres animaux.
- 1. Pour un être vivant, capacité à ressentir les émotions, la douleur, le bien-être, etc., et à percevoir de façon subjective son environnement et ses expériences de vie (définition du Larousse). Depuis la déclaration de Cambdridge en 2012 qui acte un consensus scientifique mondial, ce concept n’est plus en débat, même s’il continue à être enrichi constamment.
- 2. L214, Nombre d’élevages et d’abattoirs en France. Site l214.com.
- 3. Ministère de l'agriculture, de l'agoralimentaire et de souveraineté alimentaire, La protection des animaux à l'abattoir. Site agriculture.gouv.fr, 28 février 2019.
- 4. L214, Conditions de travail et santé des ouvriers d'abattoirs. Site : viande.info.
- 5. Tani Khara, Animals suffer for meat production – and abattoir workers do too. The conversation, 4 février 2020.
- 6. Ella McSweeney and Holly Young, The whole system is rotten : life inside Europe’s meat industry. The Guardian, 28 septembre 2021.