Entretien avec Desideriu Ramelet-Stuart, membre de l’exécutif d’A Manca, organisation anticapitaliste et anticolonialiste corse.
Comment comprendre, en quelques mots, la révolte qui s’exprime en Corse ?
C’est un mouvement qui vient de loin. Depuis sept ans, en Corse, la majorité territoriale, qui gère l’Assemblée de Corse, s’inscrit dans le mouvement nationaliste. Pas au sens où on peut l’entendre en France bien sûr mais au sens nationalitaire, au sens du droit à l’autodétermination du peuple corse. Il y a eu de nouvelles élections, en décembre dernier, où cette majorité a recueilli 70 % des suffrages. Ce qui est hors norme, et qui montre qu’il y a une adhésion hors norme du peuple corse à cette volonté d’autodétermination. Et face à cela, la réponse de l’État est la même, c’est-à-dire un déni de démocratie, quelle que soit la revendication exprimée, que ce soit au niveau linguistique, culturel, des droits élémentaires des prisonniers politiques, etc. Donc c’est une situation qui est très pesante, y compris pour des militantEs qui sont plutôt sur des options réformistes, et qui sont quelque part, dans l’affaire, les plus lésés, puisqu’ils ont joué le jeu du dialogue, de la démocratie, et finalement ils se sont fait humilier.
Tout cela, la jeunesse ne l’accepte plus. Et cette provocation de trop, c’est-à-dire le refus catégorique de la levée du statut du DPS [détenu particulièrement surveillé] à Yvan Colonna, et l’exposer à des risques et finalement à une tentative d’assassinat1, ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. C’est l’élément déclencheur, mais après évidemment il y a des racines plus profondes.
Justement vous êtes parmi ceux qui expliquez que la révolte en Corse est non seulement due à l’agression mortelle contre Yvan Colonna et donc à la question nationale corse, mais aussi à la situation sociale et notamment à la très grande précarité de la jeunesse, l’absence de perspectives. Tu peux nous en dire plus ?
La question démocratique et les questions sociales sont les deux faces d’une même lutte. Le peuple corse ne peut pas peser sur son propre destin et ses décisions. Je prends un exemple très simple : quand l’Assemblée de Corse vote la fin de la création de très grandes surfaces, derrière, le préfet de région annule ce vote. En réalité le capitalisme européen assigne la Corse à être une vaste zone de consommation, avec un taux de grandes surfaces au km2 hors norme. La Corse est un pays qui a une terre nourricière, qui a toujours une culture autosuffisante assez forte, mais qui aujourd’hui dépend à 93 % des importations de l’extérieur. Et ça, évidemment, au niveau économique et social, cela crée de très fortes disparités. Les écarts de richesses sont actuellement au même niveau qu’au 19e siècle, il y a une paupérisation de masse, à l’échelle de la jeunesse notamment, les femmes sont encore plus impactées, il y a une impossibilité de se loger à cause de la spéculation, etc.
Tout cela, c’est un poids au quotidien. Alors quand on cumule l’oppression démocratique, l’oppression coloniale et l’oppression capitaliste, au bout d’un moment il y a un trop-plein, la jeunesse en a marre et la jeunesse, aujourd’hui, le fait savoir, et très violemment.
Propos recueillis par Antoine Larrache
Entretien à retrouver en intégralité en vidéo sur notre site : https://lanticapitaliste.org/videos/solidarite-avec-la-mobilisation-du-peuple-corse
- 1. Entretien réalisé avant l’annonce du décès d’Yvan Colonna.