Il y a 140 années, le 14 mars 1883 pour être précis, Karl Marx mourait. Intellectuel révolutionnaire, militant et acteur toute sa vie dans le combat contre le capitalisme et aussi pendant des décennies au sein du mouvement ouvrier, Marx reste pour nous, militantEs anticapitalistes du siècle présent, plus qu’un ancêtre ou une figure, même particulière.
Lui et son œuvre sont toujours de véritables outils pour comprendre le monde qui nous entoure, un repère voire une boussole dans la critique de la société injuste dans laquelle nous vivons, comme une sorte de « guide » pour combattre le capitalisme « moderne » (façon de parler) et garder des perspectives réelles ou « scientifiques » de changement radical de la société.
Marx, c’est une œuvre immense, des livres petits ou grands, des articles, des déclarations, des programmes, des lettres… des textes philosophiques, économiques, politiques, scientifiques… pour une grande part en collaboration avec son camarade et ami Friedrich Engels, mais d’autres aussi. Autant de choses à lire ou à relire, autant de choses aussi à essayer de comprendre, car tout n’est évidemment pas si simple, et tout n’est plus forcément aussi utile aujourd’hui, il y a des passages plus ou moins dépassés. Ce qui est logique, tant la société a changé, tant aussi les idées, la science, les connaissances ont évolué en un siècle et demi.
Une méthode toujours actuelle
Mais dans le fond, ce qui demeure très fort, c’est le raisonnement, la vivacité de la critique, la capacité d’expliquer les faits souvent avec clarté. Et puis à la base, ce qui reste d’une actualité flagrante, c’est sa révolte contre les injustices, contre l’oppression et l’exploitation, contre la domination des classes possédantes, contre un capitalisme qui était à l’époque en plein essor, notamment avec la révolution industrielle et le développement, sous ses yeux, du prolétariat, de cette classe ouvrière qui deviendrait la force capable de tout changer radicalement.
Bon c’est vrai, la suite allait s’avérer beaucoup plus compliquée que ce qu’envisageaient et espéraient Marx et ses camarades. Le capitalisme allait bien résister aux assauts du prolétariat, survivre aux épisodes révolutionnaires. Et puis cette classe ouvrière censée abattre le capitalisme, même industrielle, même nombreuse et présente sur une bonne partie de la planète, n’a pas su renverser le capitalisme, elle n’a pas réussi à prendre le pouvoir, à contrôler l’économie, pire même, cette classe ouvrière apparaît aujourd’hui plus faible numériquement, transformée, affaiblie, beaucoup moins armée pour changer le système.
Cela n’empêche, pour nous Marx avait raison, et il a toujours raison, ce sont les oppriméEs qui seulEs peuvent transformer profondément la société. Le prolétariat n’est plus le même qu’à l’époque de Marx, il n’est plus le même non plus qu’il y a 80 ou 50 ans, c’est normal et ça ne change pas le problème de fond. La lutte de classe est bien le moteur de l’évolution des sociétés. Sauf que c’est plus long que prévu ou plus long qu’espéré. Sauf que le pouvoir des classes possédantes, que la capacité de résistance du capitalisme face à ses contradictions insolubles, sont beaucoup plus fortes. Tout est plus dur, mais cela n’empêche pas que la fin du capitalisme est nécessaire, qu’il est forcément inscrit dans l’histoire. Mais, on le sait, cela ne viendra pas tout seul.
« L’émancipation des travailleurs (et travailleuses) sera l’œuvre des travailleurs(euses) eux-elles-mêmes ».
C’est une des phrases et idées essentielles dans la pensée de Marx. Une « vérité » évidente même si elle est très difficile à se concrétiser. Ceci dit, ce sont bien dans les périodes historiques où les peuples, les oppriméEs, les travailleurs/euses, par millions, se sont mis en mouvement que les bouleversements sociaux profonds ont pu avoir lieu. L’émancipation ne peut venir que d’en bas, que si notre camp social prend ses affaires en main, sa vie et ses luttes, collectivement et largement.
Marx, c’est cette idée de la lutte des classes permanente et c’est aussi l’internationalisme qui lui est complètement lié. Le Manifeste du Parti communiste finit par cette autre phrase-idée fondamentale : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ». C’est la conscience d’appartenir à une classe sociale, à celles des oppriméEs et des exploitéEs du monde entier, par-delà les frontières, c’est faire vivre la solidarité entre les peuples, contre les dominants qui sont les mêmes pour tous, des dominants qui divisent toujours pour mieux régner. Une idée simple et pourtant si difficile aujourd’hui à faire vivre. Cet internationalisme, c’est aussi la lutte contre ces formes de domination violente que sont les impérialismes et les colonialismes qui écrasent les peuples.
Profit et travail gratuit
Marx, c’est la critique du capitalisme, de son fonctionnement économique avec l’exploitation du travail, le décryptage de la domination dissimulée, l’explication de la plus-value, cette source du profit pour les possédants qui vient de cette partie du travail fournie mais pas payée, du travail gratuit donc, qui fait la richesse (volée évidemment) des capitalistes. Il y a bien sûr Le Capital, énorme livre qui a l’inconvénient de ne pas être facile à lire ou à comprendre. Mais pas besoin de lire tout Marx pour être une ou un militant marxiste. Par chance, plusieurs marxistes ont résumé ou vulgarisé ce Capital qui existe même sous la forme d’un manga, un genre Capital pour les nuls en quelque sorte. Un tout bien utile pour comprendre.
Choisir son camp
Cette critique économique de Marx, celle des rapports de propriété, de domination, d’exploitation et d’oppressions est là encore fondamentale. On peut lire ou relire les versions premières, mais de nombreux intellectuelLEs ou militantEs ont beaucoup écrit, contribuant à actualiser toute l’analyse et la critique marxiste. Marx n’a pas tout inventé, lui-même le disait, Engels aussi. L’histoire des idées et des sociétés sont liées, les penseurs, les individus intellectuellement sont pour l’essentiel le produit de leur époque. C’est pour cela que tout évolue, tout change au fil du temps, rien n’est éternel. Certes l’époque ne fait pas tout, on peut vivre à un moment précis de la société et ne rien comprendre du monde qui nous entoure, avoir des conceptions rétrogrades voire réactionnaires, ne retenir que ce qui permet de maintenir la société de domination. En fait tout n’évolue pas non plus dans le bon sens ou dans le sens de l’histoire, c’est vrai notamment pour les intellectuels, on le voit bien régulièrement, sur les plateaux télé, avec le baratin qu’on nous inflige à longueur de journées.
Marx parlait de matérialisme et de dialectique, des idées étant le produit des rapports sociaux du moment, des idées qu’on n’invente pas mais que nous pouvons avoir la liberté de choisir. Cela dépend quel camp on veut choisir, soit s’adapter et défendre l’injustice, soit la critiquer et la combattre.
Marx avait choisi le camp de la révolte, celui des oppriméEs, celui du combat contre le capitalisme. Et nous, modestement forcément, nous militons pour continuer ce combat qui avait commencé bien avant Marx, bien avant la naissance du capitalisme et de la classe ouvrière. Il s’agit de continuer, d’être acteur, pas seulement en défendant une perspective et des idées mais aussi en construisant des outils politiques pour agir efficacement. Et là aussi Marx a apporté beaucoup. Il s’est mêlé à l’activité militante, à la construction d’organisations, d’associations y compris internationales. C’est cette idée de l’émancipation qui passe par l’organisation des oppriméEs par eux-mêmes, par l’auto-organisation, avec un apport libertaire. Donc on a bien besoin d’un programme mais aussi d’une réflexion sur comment construire de tels outils pour que la classe des oppriméEs s’organise par elle-même.
Le marxisme hante toujours la bourgeoisie
Marx écrivait dans le Manifeste du Parti communiste en 1848, déjà cité plus haut, « un spectre hante l’Europe… ce spectre c’est le communisme ». Aujourd’hui, ce spectre est toujours là, dans le monde entier. Même si la bourgeoisie semble maîtriser la situation, elle sait, au moins pour ses membres les plus lucides, que tout reste fragile, que celles et ceux qu’elle exploite sans scrupule peuvent se lever et lutter, à tout moment, que leur monde peut s’effondrer sous l’intervention explosive des peuples révoltés. Le communisme, c’est-à-dire cette société de demain, sans classes sociales dominante et dominée, sans propriété des moyens de production, sans exploitation du travail, reste une possibilité tant le capitalisme conduit à la catastrophe, socialement comme écologiquement. Marx avait raison, à la fin, c’est le prolétariat qui l’emportera face à l’égoïsme et au cynisme de la bourgeoisie.