Le 26 juin dernier, deux députés LR et LREM, sur la même longueur d’ondes, ont rendu public un rapport sur la « radicalisation dans les services publics ». L’occasion de prendre la mesure de la situation alarmante de mise sous contrôle des services publics, que ce rapport vise à durcir encore.
Les rapporteurs commencent par une introduction explicite : « Par "radicalisation", la mission entend tout extrémisme potentiellement violent à contenu politique ou religieux, visant par là au premier chef la radicalisation islamiste, compte tenu du contexte post-attentats dans lequel est plongé notre pays, mais sans exclure d’autres types possibles de radicalisation. » Une autre manière de dire que si le « criblage » porte aujourd’hui sur une forme de radicalisation religieuse, demain les outils déjà existants et ceux préconisés pourront « cribler » d’autres cibles. Et ces cibles, ce sont les agentEs et les usagerEs des services publics : « L’objet de la mission ne consiste pas à étudier en quoi les services publics peuvent contribuer à la lutte contre la radicalisation dans la société française, mais d’examiner dans quelle mesure leurs agents, d’une part, et les citoyens qui s’adressent à eux, d’autre part, peuvent être concernés. »
Des méthodes de travail éclairantes
La mission a duré 7 mois, avec études, rapports et 51 auditions « de nombreux directeurs ou représentants d’administrations centrales, des préfets, des élus, des syndicalistes, des universitaires ou encore des responsables des services de renseignement. » Les rapporteurs se sont même rendu à la préfecture de Bobigny… Ce qui donne déjà l’angle de travail : pas question d’une réelle étude de terrain, mais la suspicion sur les quartiers populaires où les services publics sont particulièrement en tension et les agentEs eux-mêmes et elles-mêmes souvent originaires de ces quartiers.
Mais il ne s’agit en aucun cas de s’intéresser aux conditions de travail des agentEs ou d’accueil du public, qui pourraient pourtant avoir un lien avec la perception que les salariéEs et les usagerEs peuvent avoir de l’État. L’objet est d’étudier les outils de surveillance, rebaptisée « criblage », et leurs éventuelles failles.
Un empilement compulsif de dispositifs répressifs
Quatre lois ont renforcé, depuis 2014, les pouvoirs d’investigation des services de renseignements, du contrôle administratif, ainsi que les dispositifs de répression « antiterroristes ». Et trois plans dits de « prévention » ont étendu les moyens de « détection » des personnes radicalisées et cherché à impliquer les agentEs des services publics, en particulier celles et ceux relevant des collectivités territoriales, pour surveiller la population. Des collectivités, dont les régions des Hauts-de-France ou de l’Île-de-France, ont mis sous pression les associations, faisant dépendre les subventions à la mise en œuvre de « chartes de laïcité », et à la lutte contre la radicalisation.
Et tout cela pour arriver à quoi ? « Au 29 mai 2019, 21 039 individus sont inscrits au Fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) dont 10 092 ont le statut : "pris en compte", 10 616 le statut : "clôturé", 167 le statut : "poursuite de l’évaluation", et enfin 164 le statut : "en veille". » À propos de ces chiffres, le rapport est obligé de reconnaitre qu’ils ne comptent que de manière « marginale » dans les agents de la fonction publique (0,05 % dans l’armée de terre, 30 agents de la pénitentiaire, ou 80 personnes sur la plateforme aéroportuaire de Roissy).
Dérives autoritaires
Tout ça pour ça, aurait-on envie de dire. Mais pas les rapporteurs, qui proposent de renforcer les moyens et d’étendre les prérogatives du Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) créé par le gouvernement Hollande. Pour contrôler davantage les recrutements dans la pénitentiaire, mais également « étendre la compétence du SNEAS aux personnels de l’Éducation nationale qui sont en contact, de par leurs fonctions, avec des mineurs » (autrement dit tous les personnels enseignants et non-enseignants de l’Éducation nationale) ou « étendre la compétence au SNEAS pour réaliser des enquêtes administratives au moment du recrutement des personnels soignants ». Ce qui signifie des contrôles au moment des recrutements, mais également tout au long de la carrière, puisque le rapport insiste bien sur les possibilités de radicalisation en cours de parcours. On ne peut que mettre ces propositions en relation avec l’article de la loi dite de « l’école de la confiance » qui cherche à censurer les enseignantEs dans leurs critiques du gouvernement.
Ce nouveau rapport, au-delà de son instrumentalisation de l’islamophobie, ne protégera pas d’éventuels passages à l’acte d’individus, comme cela est déjà arrivé à de multiples reprises depuis 2014. Il s’agit indéniablement d’un arsenal contre les agents de la fonction publique et les associations : un appareillage de mesures de contrôle et de surveillance qui pourront devenir demain de bien dangereux outils pour les dérives autoritaires de ce pouvoir ou d’un autre…
Cathy Billard