Éric Dupont-Moretti a présenté le 3 mai en Conseil des ministres deux projet de loi, supposés être la réponse aux conclusions des États généraux de la justice parues en juin 2022 qui préconisaient une réforme systémique de cette justice « lente et en état de délabrement avancé ».
L’objectif affiché est de développer « une justice plus protectrice, plus rapide, plus efficace » avec une loi ordinaire « d’orientation et de programmation » qui va décliner les moyens octroyés et une loi organique, donc structurelle, « relative à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité de la magistrature ». Déjà les différents syndicats de magistratEs émettent de fortes réserves sur ces projets.
« Renforcer la Justice et l’ordre républicain »
Si le ministre de la Justice fait référence au bilan des États généraux de la justice — vernis démocratique oblige — il s’inscrit surtout dans la feuille de route des 100 jours de Macron, mise en œuvre par sa Première ministre. Sans surprise, il s’agit bien de renforcer l’ordre républicain. Pour cela, la loi d’orientation et de programmation va doter de moyens financiers supplémentaires le ministère : son crédit de 9,6 milliards en 2023 atteindra 10,7 milliards en 2027. Cette augmentation devrait permettre la création de 10 000 nouveaux postes dont 1 500 de magistratEs et 1 500 de greffierEs et des postes d’attachéEs de justice aux statuts pérennes. Hélas, l’essentiel du budget servira surtout à la construction de 15 000 nouvelles places de prison. Alors qu’au 1er avril 2023, le record absolu de la surpopulation carcérale a été atteint, avec 73 080 détenuEs pour 60 899 places, le Syndicat de la magistrature (SM), l’Union syndicale des magistrats, le Conseil supérieur de la Magistrature et le Conseil de l’Europe s’élèvent contre cette inflation d’incarcérations en France. Ils appellent à réfléchir « à la mise en place d’une régulation carcérale », à vider les prisons plutôt que d’en créer de nouvelles !
Réforme structurelle pour simplifier ?
Pour réconcilier la population avec la justice, le ministre veut diviser par deux les délais de procédure. Pour cela, il s’agit de « simplifier ». Ce qu’il compte faire en refondant par voie d’ordonnances, le code de procédure pénale. Les différents syndicats des magistratEs critiquent fortement l’absence totale de concertation, alors même que leurs conditions de travail vont encore se détériorer. Ils s’inquiètent notamment de la réforme des voies d’accès dans la magistrature comme dans la pénitentiaire avec des formations minimales pour ces métiers difficiles. De plus, des charges nouvelles vont intervenir, qui vont être assumées par les postes créés, ce qui n’enlèvera rien au surtravail actuel ni aux retards accumulés. Le SM estime ainsi qu’« ils devront juger plus avec moins ». D’autres points sont inquiétants. Ainsi, la suppression de la très contestée Cour de justice de la République, souvent évoquée, juridiction spécifique française qui permet aux politiques ayant commis des délits dans le cadre de leur fonction d’être jugés… par trois juges et six politiques (!), n’est visiblement pas à l’ordre du jour. Sans doute que le ministre lui-même préférera être jugé par cette juridiction d’exception que par une juridiction ordinaire ?
Extension de la répression
Pour les justiciables, la majorité des propositions vont dans le sens d’une accentuation de la répression : les perquisitions de nuit, possibles aujourd’hui dans le cas de suspicion d’actes de terrorisme ou d’organisation criminelle, pourraient être étendues à toutes les suspicions de crime. Les placements sur écoute à distance seront facilitées dans les enquêtes judiciaires. La loi organique prévoit aussi la création à titre expérimental d’un nouveau tribunal pour les activités économiques ouvert aux agriculteurs et à certaines professions libérales avec incitation forte au recours à l’amiable. Pour désengorger la justice ?
Il nous faut nous aussi dénoncer et combattre cette justice de classe, faible pour les riches et dure à ceux et celles qui résistent aujourd’hui !