Le baptême de l’air est réussi. Notre « parachutage » s’est finalement très bien passé. Les équipes militantes de LFI, du PC, des écolos, d’Ensemble et même jusqu’au PS (hors version droitière de Delga) nous ont accueuilliEs chaleureusement.
Cela a permis de lancer une campagne dynamique et bien déterminée. Sur ces terres de gauche, récemment conquises par l’extrême droite (trois députés RN en 2022), nous avons réussi à modifier un peu l’ambiance. À la suite du choc de la dissolution et de la constitution du NFP, il y a eu partout un sursaut militant.
Pauvreté et individualisme
À Carcassonne et autour, nous étions nombreuxEs à nous retrouver au local de campagne, pour organiser distributions de tracts et collages d’affiches, multiplier les rencontres et les échanges. La gauche militante reprenait le terrain, en remettant dans le décor les questions sociales et environnementales, la défense des services publics, les aspirations à vivre décemment de son travail en ville ou à la campagne, pour le monde paysan victime d’une crise importante (avec en plus la sécheresse). La population nous regardait un peu comme des extraterrestres. Un programme de gauche, en rupture avec les politiques ultralibérales, avec des idées solidaires, antiracistes, féministes, écologistes, ce n’est pas si courant.
Dans l’Aude, la pauvreté est frappante. Le chômage et la précarité y sont plus importants que nationalement ; l’absence des services publics (santé, université, transports…) fait des ravages, renforçant l’isolement, le sentiment d’abandon. Une grande partie de la population se trouve écartée de la vie sociale et cela se traduit par une perte de repères collectifs, par une dépolitisation. En même temps, la population est imprégnée d’une idéologie individualiste, de préjugés qui divisent les pauvres entre eux.
Au fil des trois semaines, les gens se sont habitués à nous : d’abord heurtéEs à cause de la propagande des médias nationaux et locaux qui relayaient allègrement les mensonges et les injures des macroniens, des droites et extrêmes droites, ils ont évolué. Par notre présence visible sur le terrain, notre bonne humeur, la prise en compte des difficultés et souffrances sociales, le climat s’est apaisé. Insuffisamment pour renverser un rapport de force électoral trop défavorable au départ.
L’espoir du second tour et la suite quand les forces sont unies
Il n’était sans doute pas possible de retourner la situation en quelques jours. Lorsque les forces de la gauche militante se reconstruisent, réoccupent le terrain, dans les quartiers, dans les villages, auprès des gens qui galèrent, des agriculteurs isolés, de la jeunesse précarisée, des salariéEs en mal d’espoir, les discussions sont à nouveau possibles. Après le second tour, comme si un imprévu avait eu lieu, la donne a changé. Même dans les médias locaux, notre candidature était mieux considérée, plus respectée. Du côté du facho, il y avait comme un début d’inquiétude sur l’issue des élections.
On n’a pas gagné. Sans surprise ! Mais, le bilan est très positif, non seulement parce que le RN ne prend pas le contrôle de l’Assemblée nationale et du gouvernement, mais aussi parce que cette campagne s’est traduite par la reconstruction d’équipes militantes unitaires et motivées, plus radicales du fait de la confiance retrouvée dans nos capacités d’action.
Ici dans l’Aude, on retient l’énergie et quelque part notre efficacité quand on laisse de côté les sectarismes et autres divisions, quand on réunit les forces. On ne sait pas de quoi sera faite la suite : les choses ne seront sans doute pas simples du tout, mais on sent bien que les acquis de la campagne sont absolument à préserver et à amplifier. Partout, nous, militantEs de la campagne, devons continuer à agir par nous-mêmes et contribuer ainsi à la reconstruction d’une gauche de terrain, de combat — pas seulement pendant les élections — d’un cadre unitaire permanent, en lien avec toutes les luttes du quotidien. Un an après la bataille des retraites, voilà un moment pour remettre en avant des perspectives politiques qui nous sortent du climat de résignation.
Philippe Poutou